Le Conte d’Anderson


C

ette réflexion n’est pas un essai historique, malgré le thème qui se situe au cœur d’une époque considérée comme telle pour notre Institution.

Elle a pour projet de mettre en lumière la permanence et la modernité de nos principes fondateurs et de laisser deviner le sens de notre engagement, indépendamment de toute historicité.

Et deux voix pour marquer les deux temps d’hier et d’aujourd’hui…

ONCE UPON A TIME …

Ainsi pourrait commencer cette planche, comme tous les contes. Elle pourrait se continuer ainsi, en se projetant quelques instants, dans le passé, voici plus de deux siècles … 

Assis au fond d’une taverne faiblement éclairée par la lueur d’une bougie, quelques hommes austères et de noir vêtus s’affairaient à la rédaction d’un texte dont aucun ne mesurait alors la portée.

Plusieurs feuillets déjà rédigés s’étalaient sur la table… 

Il faut dire qu’ils avaient pris le temps pour parvenir jusqu’à cette rédaction : dix ans après que 4 Loges se réunirent un mois de Juin de l’an 1717 ou peut-être même 1716 : qui sait ? Même certains annonceront plus tard l’inexistence historique de cette date. Mais…

Le jour de la Saint Jean Baptiste le 24, Tiens comme c’est bizarre, une assemblée et une fête des Maçons francs et acceptés se tint cette année là, à la taverne l’Oie et le Gril. Aucun des participants n’était alors du métier.

La réunion rassemblât une vingtaine de personnes tout au plus et les contours de l’évènement sont aujourd’hui encore imprécis, voire incertains… Peut-être même que les auteurs, faute d’éléments, en arrangèrent ultérieurement le scénario…

Fut-il le premier document « arrangé » de la maçonnerie ? Plaçant cette dernière dans un longue perspective d’usage de faux…

Sous la plume experte du Pasteur James Anderson, s’établissaient les bases de la régularité et des origines de la Franc-Maçonnerie, dont on peut sans trop se tromper, annoncer qu’elles constitueront le pêché originel de notre institution…

Hélas, de nos jours encore, les maçons ne se sont pas exonérés de l’angoisse d’une existence historique.

Celle-ci a généré quelques interprétations, sinon des transformations notables légitimant pourtant une institution notablement  réputée.

C’est ainsi que nous pouvons évoquer le caractère sûrement enjolivé « d’une morale voilée par des allégories et illustrée par des symboles. »

Cependant, ces hommes surent rassembler dans ces textes, les valeurs qui parleraient encore à leurs frères, trois siècles plus tard.

C’est au survol de ces écrits que je vous invite à présent.

Cette première version, résonnait encore du bruit des tailleurs de pierres, alors que la FM dite des modernes était déjà exclusivement «spéculative» dans le projet de la Grande Loge de Londres.

Elle fut écrite par des hommes qui n’avaient jamais taillé une pierre. Sans doute s’inspirèrent-ils de textes opératifs et de codes de la corporation dont l’Angleterre regorgeait et dont ils s’empressèrent d’en détruire certains.

On peut annoncer sans trop se tromper que les hommes du métier avaient depuis de nombreuses années, déserté ces loges anglaises qui se lançaient dans cette aventure à ce moment. Comme c’est bizarre !

Aucun témoignage direct entre 1717 et 1723 n’existe… Alors, quelle nécessité poussait ces hommes rassemblés quelques années, après 1717…

Peut-être relancer une machine assoupie, et dans le chaos, sans doute se forger une légitimité aux couleurs ancestrales !

Nos fondateurs ont fabriqué un passé approprié à un but allégorique, bien avant le développement du symbolisme « transcendantal »…

Au point que nombreux nous sommes à croire que l’histoire de la Franc-Maçonnerie dite spéculative a commencé ce jour là…

Sur cet évènement, beaucoup ont construit de pénibles légendes et de mauvais romans suivant l’expression de Roger Dachez.

Et pourtant, de cette histoire « abracadabrantesque », émergera une institution philanthropique et philosophique de renommée…

Les francs maçons d’aujourd’hui, par des voies improbables et encore en partie hypothétiques, prétendent se rattacher, ne serait-ce que par le biais d’une métaphore vivante, à ces ouvriers d’autrefois.

Mais au fond que leur devons-nous vraiment ? »

Au temps des chantiers médiévaux, « On avait montré des « choses » à l’apprenti, le compagnon les enseignait à son tour, le maître de l’oeuvre en préservait la transmission au fil du temps, d’un chantier à l’autre.

Du maître d’œuvre au dernier des manœuvres, il y avait une pyramide de conditions, mais un destin commun.

Aucun d’entre eux n’avait le monopole d’une certaine vision du monde : pour presque tous, la vie était rude, souvent cruelle et violente, mais au fond, elle était simple car l’ordre du monde était impitoyable et limpide.

Il y avait des chantiers qui pouvaient occuper toute la vie d’un maçon, pour qui le métier se résumerait à l’édification d’une cathédrale » sans assurance de la voir achevée…

Aurions-nous conservé cette façon d’envisager notre travail ?...

Pour rédiger les Constitutions, Anderson s’est largement inspiré de textes puisés dans le catalogue des Old Charges.

Ce travail n’a pas été une entreprise solitaire puisque plus d’une dizaine de commissaires avaient été missionnés par le Grand Maître De Montagu « pour examiner, corriger, classer selon une nouvelle méthode, l’histoire, les obligations et les règlements de l’ancienne Fraternité ».

Anderson n’en reste pas moins le rédacteur essentiel le plus connu avec JT Désaguliers.

Signalons, pour la petite histoire, que l’infortuné Pasteur Anderson subsistait en partie, en écrivant (souvent en enjolivant : déjà…) l’histoire des familles de notables…

Mais Anderson écossais d’origine était natif d’Aberdeen dont le père avait appartenu à la loge de cette ville… Ecosse avez-vous dit ? Tiens comme c’est bizarre...

En effet, l’essentiel de ce qui constitue les fondements de la Franc-Maçonnerie non issue du métier est né en Ecosse au début du XVII siècle. William Shaw peut-être tenu pour son véritable fondateur ; mais que cela reste entre nous.

Parenthèse concernant la maçonnerie Ecossaise qui semble avoir permis la cohabitation des opératifs et des acceptés à contrario de l’Anglaise. Mais attention ceux qui se croient Ecossais aujourd’hui, n’ont certainement aucune filiation directe avec ceux là : le légendaire encore.

Alors quelle était la nature exacte et la fonction de cette étrange maçonnerie Anglaise ?

Partageons la tâche en quatre parties avait soufflé JT Désaguliers qui pestait d’avoir opté pour ce lieu insolite s’il en fut pour l’histoire.

Mais la saga ayant débuté dans une auberge, il était légitime qu’elle s’écrivit pareillement pour la continuité. Et pourrait-on ajouter qu’elle perdura d’une certaines manière aux sonorités des estaminets...

Il regrettait cependant les fauteuils confortables de l’académie royale et ses expériences en cours sur la physique et l’alchimie qu’il partageait avec Newton.

Il y avait dans les rangs de cette jeune maçonnerie un nombre élevé de membres de la Royal Society : allez savoir pourquoi …

La partie historique, les obligations, les règlements et enfin les chants.

Ainsi décidèrent-ils de l’agencement des Constitutions. Ce qu’avait exécuté Anderson… 

Concernant le premier chapitre, nous pouvons convenir aujourd’hui que l’histoire est dite, avec sa part d’anachronisme: s’imposant à nous en tant que patrimoine et au mieux comme « geste mythique ». 

La partie concernant les chants, sera l’absente de cette réflexion, à moins qu’une chorale improvisée par notre TVM, dont la tessiture de son organe n’est plus à louer, décide d’entonner le chant du Maître ou avec la modestie que nous lui connaissons, celui de l’Apprenti.

Tout montre à l’évidence que dans son expression, la Franc-Maçonnerie est progressivement devenue, une des formes de la tradition occidentale.

Elle a incorporé au cours des siècles et garde en son sein un ensemble de pratiques rituelles puisées au plus profond de l’humanité et relayés par de multiples voies : alchimiques, hermétiques, kabalistes.

Usages permettant d’annoncer qu’elle est une société qui transmet sous une forme codifiée des apaisements, des régulations...

C’est ainsi, que la Franc-Maçonnerie est une société initiatique. Ce mot était remarquablement absent de leurs préoccupations et maltraité aujourd’hui encore par les maçons Anglais, sans parler du sort que nous lui réservons souvent.                     

Quelle référence à la Tradition pouvons-nous revendiquer, sinon que depuis la nuit des temps, nous retrouvons les indices d’une « manifestation » à caractère social et immanent ou transcendantal, démontrant l’impérieuse nécessité pour l’homme de construire des réponses qui lui appartiennent par rapport à son environnement, à l’altérité, ou à sa propre condition.

Avec quel regard pouvons-nous appréhender l’initiation, une fois les figures légendaires, mythologiques, ou les exégèses bibliques acceptées comme les écritures d’une même histoire ?

Quelle définition donnerons-nous à l’initiation, étant entendu que nulle ne fera loi? A moins de considérer ses conséquences comme une révélation ?

Nous pouvons cependant convenir que l’Initiation procure à ses adeptes la capacité à comprendre de façon apaisée la nature humaine, cette fameuse « connaissance de soi » et elle permet de se positionner sur la crête des domaines de la pensée.

Il s’agit alors autant de la vivre, que de la penser. Il s’agit également pour le marin, au jour de sa rencontre avec la mer de ne pas se noyer, en ayant oublié d’apprendre à nager…

La constante sous-jacente reste celle de la Loi Morale évolutive et latitudinaire pour beaucoup, par le biais de la lutte du bien contre le mal, ou de la lumière contre les ténèbres et enfin de l’organisation du groupe.

La caractéristique fondamentale de la société des Francs-Maçons n’est pas celle de l’initiation qui est insuffisante en soi, mais celle d’une transmission opérante s’appuyant concrètement sur l’Art des Bâtisseurs.

   

Cela faisait quelques semaines qu’ils se réunissaient le soir dans la même salle. La connaissance qu’ils avaient de la Franc maçonnerie des Highlands les avait décidés. Elle serait une base pour leur projet politique : son substrat était un beau socle pour investir.

L’aspect fraternel et solidaire, le projet positif et prospectif, sinon économique du bâtisseur, le caractère « affranchi » de ses membres, qui n’ était pas autant affirmé dans d’autres confréries. La nécessité pour ces derniers d’entretenir des relations avec les différentes composantes du pouvoir. Déjà !!...

Et puis reproduire les lois de la nature, n’était-ce pas se rapprocher de Dieu ?

Ils s’attachèrent à l’aménagement d’un modèle de relations sociales. Elles s’établiront dans un nouveau lieu de rencontre et d’échange affirma l’un d’eux : la Loge, inspirée du monde des bâtisseurs.

Lentement au fil des réunions, Ils définirent une Loi Morale à laquelle chacun devait obéir, nous dirions aujourd’hui, une éthique, encore que ce terme ne recouvre pas convenablement la croyance en Dieu.

Cette Loi Morale avait donc pour fondement la croyance en Dieu, ce qui était accepté de toute part à l’époque. L’athéisme étant alors quasiment inexistant, ce qui pose la question de l’expression célèbre de l’athée stupide, sauf à y voir comme certains un contresens de traduction.

Ces textes affirment la liberté de conscience par le biais du respect des croyances de chacun et non de l’absence de croyance.

L’affirmation avait probablement pour raison première d’écarter les querelles religieuses antérieures qui avaient ravagé l’Angleterre et donc de rassembler le maximum de personnes dans une « association de bon ton » Des exégètes contemporains parleraient de club.

Cet espace sera désigné sous le nom de Centre de l’Union affirma Désaguliers.

Ils introduisent également le ferment de la liberté de penser en reconnaissant à chacun ses propres opinions, excluant de façon catégorique, par exemple la discussion sur les sujets à caractère politique ou religieux et incorporant la préoccupation sociale au sein d’une confrérie d’origine professionnelle.

Au delà d’un théisme convenu, L’objet premier des textes d’Anderson s’adresse plutôt à l’homme social qu’à l’esthète de la « démarche mystique ». Vous avez dit bizarre! 

Ils définissent un projet d’organisation plutôt qu’une méthode, en effet les textes d’Anderson sont discrets sur les pratiques rituelles ou autres cérémonies bien qu’existantes, sinon à souligner l’installation du maître de loge : «  suivant certaines cérémonies significatives et d’anciens usages ».

D’une façon générale, les pratiques rituelles de cette époque étaient bien plus frugales, qu’elles ne le sont aujourd’hui. Soulignons que cette absence dans les constitutions d’Anderson laisse la place aux revendications des Anciens sur le caractère traditionnel de leur pratique.

Malgré de nombreux passages obsolètes et quelques absences, ces textes représentent l’ossature essentielle mais également l’actualité des constitutions et règlements de la plupart des obédiences actuelles.

Pour n’en citer que l’essentiel s’agissant : 

De la liberté de conscience, la seule nouveauté viendra bien plus tard avec l’apparition du principe de laïcité en tant qu’espace institutionnel, développement essentiellement hexagonal faut-il le rappeler ?

Du concept de tolérance et de pluralisme associé au caractère fraternel de l’institution, Centre de l’Union des différences et non recherche de l’identité  de pensée.

De la notion de solidarité, qui se concrétisera, en 1724, par la création d’un « fond de charité ».

Du respect des lois sociales ou aujourd’hui, le fondement républicain de l’institution, qui verra ultérieurement, en ce qui nous concerne, l’avènement des valeurs telles que le triptyque Liberté, Egalité, Fraternité qui ne sont historiquement qu’une devise républicaine alors qu’on se plait à en faire une acclamation chevillée à une pratique rituelle.

Du respect de l’obligation et de l’acceptation de la règle, que nous retrouvons dans la notion de devoir et d’engagement.

De la progression et de ses critères, dans le cadre d’un apprentissage « selon une manière qui est propre à la fraternité ». 

De la discrétion enfin, sans entamer la question complexe du secret, dont nous savons ce qu’il convient d’en penser.

Ainsi ils écrivirent, ce qui aujourd’hui nous fait encore rêver, débattre, rechercher, ce qui nous divise, hélas quelquefois.

Ce qui paraît le plus remarquable dans le texte d’Anderson ce n’est pas tant de mettre en place une « école » pour devenir meilleur, mais d’établir une règle suprême disant aux hommes si vous êtes Francs maçons, il convient de souscrire sinon à en être persuadé, en la liberté de conscience et d’opinion de chacun.

La modernité et sans doute la survivance de cette institution résident dans ces deux concepts.

Ils se séparèrent dans la fraîcheur du petit matin le travail accompli. Anderson devait se charger de la publication. Se doutait-il du retentissement de ce document ?

Il tomba pour le restant de sa vie dans l’anonymat sans autre fait marquant à son actif…

Ces textes font partie du patrimoine de notre institution, dont l’ambition a toujours été d’user du qualificatif Universel. Usage sans doute excessif aujourd’hui, puisque établi dans une époque où la maçonnerie pouvait se parer d’une unité institutionnelle, certes éphémère.

Les efforts restant à réaliser pour que les deux ou trois phrases clefs des textes d’Anderson soient réellement atteints, sont encore conséquents...

L’imperfection de la pierre taillée rugueuse là ou nous pensions l’avoir maintes fois préparée, une Etoile merveilleusement inaccessible, le Temple inachevé et même pire : ruiné.

Chaque moment fort de notre chemin est confronté à l’immense difficulté à devenir meilleur et plus éclairé suivant l’expression…

Peut-être, avancerions-nous différemment, sinon mieux, si nous nous interrogions sur la motivation profonde, elle universelle, qui pousse l’humanité depuis ses origines à se transcender…

Sans se tromper, il n’y a pas de mot fin à ce conte…


Jean Pierre Duhal

Membre de l’Alliance des Loges Symboliques

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