Le Conte d’Anderson


C

ette réflexion n’est pas un essai historique, malgré le thème qui se situe au cœur d’une époque considérée comme telle pour notre Institution.

Elle a pour projet de mettre en lumière la permanence et la modernité de nos principes fondateurs et de laisser deviner le sens de notre engagement, indépendamment de toute historicité.

Et deux voix pour marquer les deux temps d’hier et d’aujourd’hui…

ONCE UPON A TIME …

Ainsi pourrait commencer cette planche, comme tous les contes. Elle pourrait se continuer ainsi, en se projetant quelques instants, dans le passé, voici plus de deux siècles … 

Assis au fond d’une taverne faiblement éclairée par la lueur d’une bougie, quelques hommes austères et de noir vêtus s’affairaient à la rédaction d’un texte dont aucun ne mesurait alors la portée.

Plusieurs feuillets déjà rédigés s’étalaient sur la table… 

Il faut dire qu’ils avaient pris le temps pour parvenir jusqu’à cette rédaction : dix ans après que 4 Loges se réunirent un mois de Juin de l’an 1717 ou peut-être même 1716 : qui sait ? Même certains annonceront plus tard l’inexistence historique de cette date. Mais…

Le jour de la Saint Jean Baptiste le 24, Tiens comme c’est bizarre, une assemblée et une fête des Maçons francs et acceptés se tint cette année là, à la taverne l’Oie et le Gril. Aucun des participants n’était alors du métier.

La réunion rassemblât une vingtaine de personnes tout au plus et les contours de l’évènement sont aujourd’hui encore imprécis, voire incertains… Peut-être même que les auteurs, faute d’éléments, en arrangèrent ultérieurement le scénario…

Fut-il le premier document « arrangé » de la maçonnerie ? Plaçant cette dernière dans un longue perspective d’usage de faux…

Sous la plume experte du Pasteur James Anderson, s’établissaient les bases de la régularité et des origines de la Franc-Maçonnerie, dont on peut sans trop se tromper, annoncer qu’elles constitueront le pêché originel de notre institution…

Hélas, de nos jours encore, les maçons ne se sont pas exonérés de l’angoisse d’une existence historique.

Celle-ci a généré quelques interprétations, sinon des transformations notables légitimant pourtant une institution notablement  réputée.

C’est ainsi que nous pouvons évoquer le caractère sûrement enjolivé « d’une morale voilée par des allégories et illustrée par des symboles. »

Cependant, ces hommes surent rassembler dans ces textes, les valeurs qui parleraient encore à leurs frères, trois siècles plus tard.

C’est au survol de ces écrits que je vous invite à présent.

Cette première version, résonnait encore du bruit des tailleurs de pierres, alors que la FM dite des modernes était déjà exclusivement «spéculative» dans le projet de la Grande Loge de Londres.

Elle fut écrite par des hommes qui n’avaient jamais taillé une pierre. Sans doute s’inspirèrent-ils de textes opératifs et de codes de la corporation dont l’Angleterre regorgeait et dont ils s’empressèrent d’en détruire certains.

On peut annoncer sans trop se tromper que les hommes du métier avaient depuis de nombreuses années, déserté ces loges anglaises qui se lançaient dans cette aventure à ce moment. Comme c’est bizarre !

Aucun témoignage direct entre 1717 et 1723 n’existe… Alors, quelle nécessité poussait ces hommes rassemblés quelques années, après 1717…

Peut-être relancer une machine assoupie, et dans le chaos, sans doute se forger une légitimité aux couleurs ancestrales !

Nos fondateurs ont fabriqué un passé approprié à un but allégorique, bien avant le développement du symbolisme « transcendantal »…

Au point que nombreux nous sommes à croire que l’histoire de la Franc-Maçonnerie dite spéculative a commencé ce jour là…

Sur cet évènement, beaucoup ont construit de pénibles légendes et de mauvais romans suivant l’expression de Roger Dachez.

Et pourtant, de cette histoire « abracadabrantesque », émergera une institution philanthropique et philosophique de renommée…

Les francs maçons d’aujourd’hui, par des voies improbables et encore en partie hypothétiques, prétendent se rattacher, ne serait-ce que par le biais d’une métaphore vivante, à ces ouvriers d’autrefois.

Mais au fond que leur devons-nous vraiment ? »

Au temps des chantiers médiévaux, « On avait montré des « choses » à l’apprenti, le compagnon les enseignait à son tour, le maître de l’oeuvre en préservait la transmission au fil du temps, d’un chantier à l’autre.

Du maître d’œuvre au dernier des manœuvres, il y avait une pyramide de conditions, mais un destin commun.

Aucun d’entre eux n’avait le monopole d’une certaine vision du monde : pour presque tous, la vie était rude, souvent cruelle et violente, mais au fond, elle était simple car l’ordre du monde était impitoyable et limpide.

Il y avait des chantiers qui pouvaient occuper toute la vie d’un maçon, pour qui le métier se résumerait à l’édification d’une cathédrale » sans assurance de la voir achevée…

Aurions-nous conservé cette façon d’envisager notre travail ?...

Pour rédiger les Constitutions, Anderson s’est largement inspiré de textes puisés dans le catalogue des Old Charges.

Ce travail n’a pas été une entreprise solitaire puisque plus d’une dizaine de commissaires avaient été missionnés par le Grand Maître De Montagu « pour examiner, corriger, classer selon une nouvelle méthode, l’histoire, les obligations et les règlements de l’ancienne Fraternité ».

Anderson n’en reste pas moins le rédacteur essentiel le plus connu avec JT Désaguliers.

Signalons, pour la petite histoire, que l’infortuné Pasteur Anderson subsistait en partie, en écrivant (souvent en enjolivant : déjà…) l’histoire des familles de notables…

Mais Anderson écossais d’origine était natif d’Aberdeen dont le père avait appartenu à la loge de cette ville… Ecosse avez-vous dit ? Tiens comme c’est bizarre...

En effet, l’essentiel de ce qui constitue les fondements de la Franc-Maçonnerie non issue du métier est né en Ecosse au début du XVII siècle. William Shaw peut-être tenu pour son véritable fondateur ; mais que cela reste entre nous.

Parenthèse concernant la maçonnerie Ecossaise qui semble avoir permis la cohabitation des opératifs et des acceptés à contrario de l’Anglaise. Mais attention ceux qui se croient Ecossais aujourd’hui, n’ont certainement aucune filiation directe avec ceux là : le légendaire encore.

Alors quelle était la nature exacte et la fonction de cette étrange maçonnerie Anglaise ?

Partageons la tâche en quatre parties avait soufflé JT Désaguliers qui pestait d’avoir opté pour ce lieu insolite s’il en fut pour l’histoire.

Mais la saga ayant débuté dans une auberge, il était légitime qu’elle s’écrivit pareillement pour la continuité. Et pourrait-on ajouter qu’elle perdura d’une certaines manière aux sonorités des estaminets...

Il regrettait cependant les fauteuils confortables de l’académie royale et ses expériences en cours sur la physique et l’alchimie qu’il partageait avec Newton.

Il y avait dans les rangs de cette jeune maçonnerie un nombre élevé de membres de la Royal Society : allez savoir pourquoi …

La partie historique, les obligations, les règlements et enfin les chants.

Ainsi décidèrent-ils de l’agencement des Constitutions. Ce qu’avait exécuté Anderson… 

Concernant le premier chapitre, nous pouvons convenir aujourd’hui que l’histoire est dite, avec sa part d’anachronisme: s’imposant à nous en tant que patrimoine et au mieux comme « geste mythique ». 

La partie concernant les chants, sera l’absente de cette réflexion, à moins qu’une chorale improvisée par notre TVM, dont la tessiture de son organe n’est plus à louer, décide d’entonner le chant du Maître ou avec la modestie que nous lui connaissons, celui de l’Apprenti.

Tout montre à l’évidence que dans son expression, la Franc-Maçonnerie est progressivement devenue, une des formes de la tradition occidentale.

Elle a incorporé au cours des siècles et garde en son sein un ensemble de pratiques rituelles puisées au plus profond de l’humanité et relayés par de multiples voies : alchimiques, hermétiques, kabalistes.

Usages permettant d’annoncer qu’elle est une société qui transmet sous une forme codifiée des apaisements, des régulations...

C’est ainsi, que la Franc-Maçonnerie est une société initiatique. Ce mot était remarquablement absent de leurs préoccupations et maltraité aujourd’hui encore par les maçons Anglais, sans parler du sort que nous lui réservons souvent.                     

Quelle référence à la Tradition pouvons-nous revendiquer, sinon que depuis la nuit des temps, nous retrouvons les indices d’une « manifestation » à caractère social et immanent ou transcendantal, démontrant l’impérieuse nécessité pour l’homme de construire des réponses qui lui appartiennent par rapport à son environnement, à l’altérité, ou à sa propre condition.

Avec quel regard pouvons-nous appréhender l’initiation, une fois les figures légendaires, mythologiques, ou les exégèses bibliques acceptées comme les écritures d’une même histoire ?

Quelle définition donnerons-nous à l’initiation, étant entendu que nulle ne fera loi? A moins de considérer ses conséquences comme une révélation ?

Nous pouvons cependant convenir que l’Initiation procure à ses adeptes la capacité à comprendre de façon apaisée la nature humaine, cette fameuse « connaissance de soi » et elle permet de se positionner sur la crête des domaines de la pensée.

Il s’agit alors autant de la vivre, que de la penser. Il s’agit également pour le marin, au jour de sa rencontre avec la mer de ne pas se noyer, en ayant oublié d’apprendre à nager…

La constante sous-jacente reste celle de la Loi Morale évolutive et latitudinaire pour beaucoup, par le biais de la lutte du bien contre le mal, ou de la lumière contre les ténèbres et enfin de l’organisation du groupe.

La caractéristique fondamentale de la société des Francs-Maçons n’est pas celle de l’initiation qui est insuffisante en soi, mais celle d’une transmission opérante s’appuyant concrètement sur l’Art des Bâtisseurs.

   

Cela faisait quelques semaines qu’ils se réunissaient le soir dans la même salle. La connaissance qu’ils avaient de la Franc maçonnerie des Highlands les avait décidés. Elle serait une base pour leur projet politique : son substrat était un beau socle pour investir.

L’aspect fraternel et solidaire, le projet positif et prospectif, sinon économique du bâtisseur, le caractère « affranchi » de ses membres, qui n’ était pas autant affirmé dans d’autres confréries. La nécessité pour ces derniers d’entretenir des relations avec les différentes composantes du pouvoir. Déjà !!...

Et puis reproduire les lois de la nature, n’était-ce pas se rapprocher de Dieu ?

Ils s’attachèrent à l’aménagement d’un modèle de relations sociales. Elles s’établiront dans un nouveau lieu de rencontre et d’échange affirma l’un d’eux : la Loge, inspirée du monde des bâtisseurs.

Lentement au fil des réunions, Ils définirent une Loi Morale à laquelle chacun devait obéir, nous dirions aujourd’hui, une éthique, encore que ce terme ne recouvre pas convenablement la croyance en Dieu.

Cette Loi Morale avait donc pour fondement la croyance en Dieu, ce qui était accepté de toute part à l’époque. L’athéisme étant alors quasiment inexistant, ce qui pose la question de l’expression célèbre de l’athée stupide, sauf à y voir comme certains un contresens de traduction.

Ces textes affirment la liberté de conscience par le biais du respect des croyances de chacun et non de l’absence de croyance.

L’affirmation avait probablement pour raison première d’écarter les querelles religieuses antérieures qui avaient ravagé l’Angleterre et donc de rassembler le maximum de personnes dans une « association de bon ton » Des exégètes contemporains parleraient de club.

Cet espace sera désigné sous le nom de Centre de l’Union affirma Désaguliers.

Ils introduisent également le ferment de la liberté de penser en reconnaissant à chacun ses propres opinions, excluant de façon catégorique, par exemple la discussion sur les sujets à caractère politique ou religieux et incorporant la préoccupation sociale au sein d’une confrérie d’origine professionnelle.

Au delà d’un théisme convenu, L’objet premier des textes d’Anderson s’adresse plutôt à l’homme social qu’à l’esthète de la « démarche mystique ». Vous avez dit bizarre! 

Ils définissent un projet d’organisation plutôt qu’une méthode, en effet les textes d’Anderson sont discrets sur les pratiques rituelles ou autres cérémonies bien qu’existantes, sinon à souligner l’installation du maître de loge : «  suivant certaines cérémonies significatives et d’anciens usages ».

D’une façon générale, les pratiques rituelles de cette époque étaient bien plus frugales, qu’elles ne le sont aujourd’hui. Soulignons que cette absence dans les constitutions d’Anderson laisse la place aux revendications des Anciens sur le caractère traditionnel de leur pratique.

Malgré de nombreux passages obsolètes et quelques absences, ces textes représentent l’ossature essentielle mais également l’actualité des constitutions et règlements de la plupart des obédiences actuelles.

Pour n’en citer que l’essentiel s’agissant : 

De la liberté de conscience, la seule nouveauté viendra bien plus tard avec l’apparition du principe de laïcité en tant qu’espace institutionnel, développement essentiellement hexagonal faut-il le rappeler ?

Du concept de tolérance et de pluralisme associé au caractère fraternel de l’institution, Centre de l’Union des différences et non recherche de l’identité  de pensée.

De la notion de solidarité, qui se concrétisera, en 1724, par la création d’un « fond de charité ».

Du respect des lois sociales ou aujourd’hui, le fondement républicain de l’institution, qui verra ultérieurement, en ce qui nous concerne, l’avènement des valeurs telles que le triptyque Liberté, Egalité, Fraternité qui ne sont historiquement qu’une devise républicaine alors qu’on se plait à en faire une acclamation chevillée à une pratique rituelle.

Du respect de l’obligation et de l’acceptation de la règle, que nous retrouvons dans la notion de devoir et d’engagement.

De la progression et de ses critères, dans le cadre d’un apprentissage « selon une manière qui est propre à la fraternité ». 

De la discrétion enfin, sans entamer la question complexe du secret, dont nous savons ce qu’il convient d’en penser.

Ainsi ils écrivirent, ce qui aujourd’hui nous fait encore rêver, débattre, rechercher, ce qui nous divise, hélas quelquefois.

Ce qui paraît le plus remarquable dans le texte d’Anderson ce n’est pas tant de mettre en place une « école » pour devenir meilleur, mais d’établir une règle suprême disant aux hommes si vous êtes Francs maçons, il convient de souscrire sinon à en être persuadé, en la liberté de conscience et d’opinion de chacun.

La modernité et sans doute la survivance de cette institution résident dans ces deux concepts.

Ils se séparèrent dans la fraîcheur du petit matin le travail accompli. Anderson devait se charger de la publication. Se doutait-il du retentissement de ce document ?

Il tomba pour le restant de sa vie dans l’anonymat sans autre fait marquant à son actif…

Ces textes font partie du patrimoine de notre institution, dont l’ambition a toujours été d’user du qualificatif Universel. Usage sans doute excessif aujourd’hui, puisque établi dans une époque où la maçonnerie pouvait se parer d’une unité institutionnelle, certes éphémère.

Les efforts restant à réaliser pour que les deux ou trois phrases clefs des textes d’Anderson soient réellement atteints, sont encore conséquents...

L’imperfection de la pierre taillée rugueuse là ou nous pensions l’avoir maintes fois préparée, une Etoile merveilleusement inaccessible, le Temple inachevé et même pire : ruiné.

Chaque moment fort de notre chemin est confronté à l’immense difficulté à devenir meilleur et plus éclairé suivant l’expression…

Peut-être, avancerions-nous différemment, sinon mieux, si nous nous interrogions sur la motivation profonde, elle universelle, qui pousse l’humanité depuis ses origines à se transcender…

Sans se tromper, il n’y a pas de mot fin à ce conte…


Jean Pierre Duhal

Membre de l’Alliance des Loges Symboliques

Réflexion sur le IIème Ordre de Sagesse: Grand Élu Écossais

 


REMARQUE LIMINAIRE

 

M

on objectif en rédigeant ce balustre n’est certes pas d’y consigner tous les enseignements et connaissances de ce grade, ce qui relève du travail personnel de chacun et du travail collectif en chapitre. Et bon nombre de livres permettent à chacun de trouver réponse à ses questions et d’approfondir ainsi le contenu du grade.

Ne s’agissant pas de réécrire de nouveau ce qui existe, je souhaite bien plus ouvrir des pistes de réflexion en situant le cadre du grade et en mettant en exergue certains points symboliques qui nous échappent parfois.

Je tiens aussi à préciser que je respecte toutes les convictions religieuses, philosophiques ou spirituelles de chacun qui ne regardent finalement que la conscience de chacun. Il reste que les Ordres de Sagesse de notre rite sont fortement empreints des traditions biblique et chrétienne, ce qui fit écrire à un de mes prédécesseurs que le rite moderne français était de forme chrétienne. Je reste profondément attaché à accorder l’importance d’un symbole au signifié et non au signifiant : si un enseignement bouddhiste ou musulman me plait, je peux l’accepter sans cependant me convertir à cette religion. Je pense qu’il faut savoir dépasser le cadre allégorique pour ne retenir que la substantifique moelle.

Ainsi, le conte des 3 petits cochons veut, en sa finalité, nous inciter à construire notre vie sur du solide même si c’est plus lent et demande plus d’efforts. Celui qui s’arrête à s’interroger si les 3 petits cochons ont réellement existé ou si des cochons peuvent bâtir une maison perd non seulement son temps mais le bénéfice de l’enseignement.

Qu’un enseignement soit qualifié de chrétien voire de christique n’exclut nullement qu’il ne puisse être suivi par un bouddhiste, un musulman voire un athée. De même, comme le soulignait notre TCF Fabrizio, la bible ou le GADLU font partie de notre tradition maçonnique française : on ne peut les soustraire mais il appartient à chacun le droit d’y réserver l’interprétation qu’il souhaite.

Je laisse donc à chacun de retenir de la tradition que j’expose ce qui lui convient ou de l’adapter à sa propre évolution et à ses convictions voire même de la refuser. Chacun reste libre et maître de son initiation.

De mon côté, je demanderai aux FF\ et au SS\ se sentant visés par certaines de mes incompréhensions personnelles que je pourrais exposer. Elles ne sont finalement nullement des critiques stériles mais des invitations à l’expression de positions différentes des miennes.

Alain DRUART

Vème Ordre – grade 9

Grand Conservateur du Grand Chapître Général Mixte de Belgique



CADRE CONTEXTUEL

du IIème ORDRE de SAGESSE

 

 

L

e Ier Ordre de Sagesse a mis une fin à l’histoire allégorique d’Hiram commencée en loge symbolique et il découle fort logiquement un total changement de contexte pour le IIème Ordre même si le récipiendaire reste toujours Joaben.

Le IIème Ordre de Sagesse, Grand Elu Ecossais, est souvent qualifié de grade de purification et de sanctification et on ne peut ignorer, en effet, son caractère biblique voire judaïque.

Il peut paraître étonnant – surtout si on se rappelle l’opposition des antients et des moderns – de voir en notre rite moderne français un grade dénommé Grand Elu Ecossais qui relèverait ainsi de l’écossisme. [1]

Il faut y voir, selon moi, non un rapprochement entre les rites mais un fondement par rapport aux origines de la franc-maçonnerie qui se situent en Ecosse et non en Angleterre.[2] A titre personnel, je partage l’avis de plusieurs auteurs sur l’influence templière en Ecosse pour la constitution de notre Ordre.[3]

Nous verrons qu’en cet Ordre de Sagesse où nous travaillons dans des voutes, le symbolisme biblique rencontre parfaitement le symbolisme templier.[4] On dépasse largement la première acceptation de judaïsme.

Bon nombre de récipiendaires sont déstabilisés par le contenu du grade, ne serait-ce qu’au niveau de la marche certes complexe. Il est d’ailleurs à souligner que c’est le récipiendaire lui-même qui demande directement son accession au grade et, de nouveau, avant de recevoir réponse, il est dûment tuilé pour le Ier Ordre.

La finalité de la réception concerne la découverte du temple mais surtout l’allumage du chandelier à 7 branches.

XXX


LA PURIFICATION

 

LA TABLE DES EPREUVES

L

e récipiendaire est mené vers la table des épreuves et on lui demande, d’une part, s’il a respecté ses serments maçonniques et d’autre part, s’il n’a en lui aucun sentiment négatif envers l’un ou l’autre frère, ce qui n’est pas sans rappeler certains rituels de réception au grade d’apprenti.

Il est à noter qu’un poignard lui est placé pointe sur le cœur et une hache sur la nuque. Le poignard nous rappelle bien entendu le grade précédent et la fin tragique d’ABIBALA. Si on reprend les questions formulées, on peut s’interroger si le récipiendaire n’est pas un nouveau ABIBALA ou s’il a, en effet, compris le message de JOABEN.

La hache reste un symbole fortement utilisé en mythologie. Transposant initialement la force du Tonnerre, elle devient ensuite un symbole important de puissance rituelle cristallisée par une autorité cérémonielle. Elle évoque ainsi l’emprise ou la puissance d’un pouvoir religieux.

Notre TCF René GUENON[5] expose que la hache s’identifie à un attribut divin qui détruit ce qui est nuisible pour laisser place à un renouveau. Quand la hache fend l’écorce d’un arbre, elle évoque aussi une pénétration spirituelle associée au mystère divin. Elle peut symboliser également une délivrance. Dans la mythologie grecque, Athéna naît du cerveau de Zeus grâce à l’intervention d’Héphaïstos, le dieu forgeron, armé d’une hache. Ceci n’est point sans relation avec notre Tubalcain. La hache signe parfois la colère divine, la foudre divine telle que nous la retrouvons à moultes reprises dans la bible, comme on peut le voir aussi dans l’iconographie indienne du dieu Shiva (ou Çiva), dont les attributs sont le trident et la hache. Mais cette agressivité vise à la destruction de forces néfastes pour engendrer un renouvellement ou pour rétablir un équilibre… Elle est donc l’outil de séparation par excellence : séparation des vices et des vertus, du bien et du mal, … Sur le plan maçonnique, la hache est ainsi en corrélation avec le maillet du Vénérable.

Notre récipiendaire, en son attitude, accepte donc d’une part à s’exposer à la foudre divine s’il se parjure mais surtout de détruire en lui par une séparation franche et brutale tout sentiment, tout élément, négatif. Le discernement et la séparation permettent une différenciation, qui, pensée et consciente, peut aboutir à la libération intérieure de l'être  individuel.

La hache soulève bon nombre d’interrogations pour les auteurs maçonniques puisque cet outil ne sert nullement aux tailleurs de pierre mais concerne le travail du bois [6]. Certains la rattachent dès lors à la franc-maçonnerie forestière.

Le 22ème grade du REAA soit Chevalier Royal-Hache en fait un symbole important, se revendiquant à la fois d’outil de châtiment mais aussi de celui de faire jaillir la lumière. Ce qui correspond parfaitement au concept développé à ce stade de la cérémonie. Elle implique aussi, à ce grade, la notion du sacrifice.


LES ABLUTIONS

Selon Jacky MILEWSKI [7] , les ablutions sont extrêmement importantes pour les juifs religieux et se réfèrent à un désir de purification de tout le corps et l’âme de l’être humain. Cette pratique se référait au code des Lévites. L’ablution des mains précède obligatoirement la bénédiction sur le pain (HaMotsi). Dans la Bible, Jacob, avant d'offrir un sacrifice à Béthel, ordonna à ses serviteurs de se laver. Moïse imposa l'ablution aux prêtres des Hébreux; ils devaient la pratiquer avant de remplir leurs fonctions dans le temple.

Fortement toujours usitées dans l’Islam mais déjà en les textes hébraïques, les ablutions confirment le souhait d’une purification du récipiendaire par une action rituelle à portée divine.

Dans le christianisme, la chair a été plus rigoureusement séparée de l'esprit que dans les autres religions, et la pureté de l'âme est le grand devoir du croyant. On n'y trouve l'ablution qu'à l'état de symbole : tel est, chez les catholiques, l'usage de tremper le bout des doigts dans l'eau bénite en entrant à l'église, et de porter au front une goutte de cette eau. Le baptême, l'aspersion de l'eau bénite, le lavement des pieds et celui des autels dans la semaine sainte, sont autant d'ablutions. Parmi les cérémonies de la messe, il y a une ablution des mains après l'offertoire, et deux ablutions après la communion, l'une avec du vin qu'on verse dans le calice, l'autre avec un peu d'eau et de vin qu'on répand sur les doigts du prêtre, et qui retombe dans le calice; elles sont destinées à entraîner les parcelles des espèces consacrées qui auraient pu adhérer pendant le sacrifice aux doigts de l'officiant ou aux parois du calice

On pourrait donc dire qu’avec la hache (foudre donc feu) puis les ablutions (eau), notre candidat se purifie par le feu et l’eau, ce qui n’est pas sans rappeler les deux baptêmes du nouveau testament censés également apporter un renouveau.

Nous noterons que l’accent est fortement mis sur la volonté d’éliminer tout sentiment d’inimitié envers un frère ou une sœur, donc finalement envers quiconque. Nous allons donc encore plus loin que l’enseignement du grade précédent où l’inimitié faisait certes partie intégrante de la vengeance mais aussi de la justice.

On rencontre ici l’importance d’une valeur qui nous sera souvent répété par la suite, celle du pardon.[8]


 


LE DELTA, bijou de l’architecte

 

O

n demande au candidat le delta mais comment pourrait-il en avoir possession. Selon plusieurs rituels et instructions, ce delta, en métal, était gravé du iod-he-vav-he et était porté en bijou par l’architecte Hiram. Il s’en défit – pour préserver le secret  – lors de son assassinat en le jetant au fond d’un puit.

Nous retrouvons ce delta en de multiples monuments de France mais également sur le fronton de plusieurs églises.

La recherche du candidat revient positive et il s’exclame que l’enseignement des maîtres est sauvé. Cet enseignement serait donc le tétragramme sur le delta, soit aussi le premier mot des maîtres. L’instruction du grade nous précise qu’il s’agit du nom du Grand Architecte de l’Univers. Il n’y a ici aucune équivoque : Jéhovah est le GADLU. Et je laisse à chacun le soin d’interpréter ceci. Pour nuancer notre réflexion, rappelons-nous que depuis la maîtrise, nous pouvons conclure que Jehovah (assimilé à Hiram) est mort et que l’objectif de ceci n’est point religieux mais initiatique soit se rapporte à l’évolution de l’Homme.

Détenteur du bijou de l’architecte soit de la Connaissance des Maîtres, Joaben peut continuer de poursuivre l’œuvre sur cette base, pour achever l’édifice. Cette connaissance sera placée sous le piédestal de la Science.

LA PIERRE DU IIème ORDRE



N otre TCF Pierre MOLIER [9] fait remarquer que cette pierre dite cubique tronquée ne correspond que très imparfaitement au rituel du IIème Ordre. En effet, dans l’instruction du grade fixée en 1785, il s’agit seulement d’une « pierre cubique » – pas de pointe donc, fut-elle tronquée – et la description des faces reste assez vague.


Le discours de l’Orateur, lu au récipiendaire à la fin de la cérémonie, donne quelques précisions en évoquant : une pierre d’agate taillée en forme quadrangulaire, sur laquelle il fit graver, à la face supérieure, le mot substitué ; à la face inférieure, tous les mots secrets de la Maçonnerie, et aux quatre faces latérales, les combinaisons cubiques de ces nombres, ce qui la fit dénommer pierre cubique.

Avouons-le, cette pierre reste mystérieuse en ses inscriptions : il serait impossible, dans le cadre de ce balustre, d’en exposer la signification. Aussi, à l’exemple d notre TCF Pierre, je vous reporte au livre de notre TCF Antoine CHÉREAU,  la Pierre cubique du IIe Ordre (1806). [10] Elle représenterait le contenu de toute la connaissance maçonnique.

Je laisse à chacun la poursuite de sa recherche sur les significations multiples de cette pierre en signalant simplement qu’elle est en relation avec la doctrine templière [11] et fait la liaison entre les sciences dites ésotériques telles que la kabbale, l’astrologie, la mytthologie …

 


LA TRUELLE

 

N

otre phase de purification se termine par trois onctions symboliques effectuées avec une truelle : les yeux, la bouche et le cœur.

La truelle prolonge la main guidée par l’esprit. Aussi, sa forme triangulaire fait penser à la trinité : Sagesse, Force et Beauté. Par ailleurs, l'éclair représentant le manche de la truelle représente l'irruption de la lumière dans les ténèbres qui fait resplendir "la gloire au travail". La truelle est un outil symbolique très important, un outil de fraternité amis aussi de réconstruction, qui sert à unir, à lisser et à consolider, donc à parfaire l’œuvre. Elle possède une vocation fraternelle et plaide pour l’universalité dans la différence. C’est l’union fraternelle dans la différence. La truelle sert à appliquer le mortier, mortier qui atténue les différence tel l’Amour universel.

L’expression « passer la truelle » signifie pardonner, ce qui rejoint mon propos sur le pardon. Une loge qui refuserait un pardon sincèrement demandé n’aurait rien compris à l’idéal maçonnique et perdrait ainsi tout son sens d’existence. Cette notion du pardon fut ignorée par ABIBALA qui se suicida. Refuser un pardon sincèrement demandé à un Frère, c’est nier l’essence même de notre Ordre, nier sa dimension fraternelle universelle et surtout être en total désaccord avec le contenu du Rite et principalement des dévoirs du IVème Ordre de Sagesse.

Ce n’est point sans rapport qu’en certains rites, la truelle complète l’instrumenta du Vénérable qui doit, en effet, exceller dans l'art de passer la truelle soit de guider ses frères vers le pardon afin de garder intacte la quiétude et l'harmonie de la loge.



DE LA PURIFICATION A L’UNION

 

A

près cette phase de purification, le récipiendaire est amené devant la table de l’Union mais union avec qui ?

La première union est celles avec ses frères et sœurs, ses nouveaux pairs, avec qui il est invité à partager le vin et le pain, ce qui en fait un compagnon selon l’étymologie du terme. Cette phase, à ce grade, est essentiellement humaine en rapport avec la fraternité et n’a aucune relation avec la religion.

Il est à souligner l’importance de l’union entre les initiés, les maçons, avant de songer à une quelconque alliance avec le divin ou le soi supérieur.

Sur un plan alchimique opératif, on pourrait qualifier l’œuvre de séparation-purification-union des principes. Tel est aussi le parallèle en alchimie spirituelle soit en le parcours initiatique : toute union est conditionnée à une purification préalable des éléments.

Reçu Grand élu Ecossais, notre candidat contemple alors le temple établi. Il a accès au saint des Saints où il est invité à allumer, selon un ordre bien précis rappelant les lévites, un chandelier à 7 branches.

Le chandelier à 7 branches

Diverses interprétations font autorité selon qu’il s’agit d’un symbole hébraïque (la ménorah), égyptien ou plus prosaïquement maçonnique. Le Chandelier qui possède 7 branches rappelle que dans toutes les traditions ce chiffre symbolise l’union entre le Ciel et la Terre (3 le chiffre du ciel + 4 celui de la Terre et ses points cardinaux). Il est le centre et indique le sens d’un changement après un cycle accompli et d’un renouvellement positif. Il reste, en tout cas, symbole d’alliance avec le divin. Le Chandelier à sept branches symbolise donc le point de rencontre entre deux mondes (matériel et spirituel). Ce changement de plan marque ce que peut être le Midi des Maçons cherchant à s’élever en spiritualité.

La ménorah traduit donc une alliance, évoquant celle passée avec Moïse [12] et en relation avec le tabernacle, soit  le sanctuaire transportable, qui représentait l’espace où se manifestait la présence de Dieu sur terre (Chekhina) et où se situait l’arche d’alliance. La Menorah symbolise donc la lumière divine qui se propage. Selon d’autres, les 7 lumières de la Menorah symbolisent les 7 jours de la Création de l’Univers et la lumière centrale serait le samedi. On croit également que les 7 lumières symbolisent les 7 cieux emplis de lumière de Dieu, ou encore la présence de Dieu avec 7 yeux qui veillent sur le Temple, ou encore le système planétaire, le soleil au centre et les planètes autour.

Il serait des plus intéressant de se pencher sur l’évolution entre le chandelier à 3 branches des loges symboliques à celui à 7 branches apparaissant à ce grade.

Pour la Kabbale, la Menorah est également le symbole de tout l’alphabet hébraïque. En effet, elle a 7 bras avec 22 bosses comme les 22 lettres de l’alphabet hébraïque. [13] ceci nous renvoie au mot du grade : Shem Ham Phorash signifie le nom explicite soit un nom caché de Dieu dans la Kabbale.

En résumant fortement, nous simplifierons en disant que le Shem Ham Phorash permet d’établir l’ordre angélique – mais aussi démoniaque – des 72 anges dont les légendes kabbalistes et occultistes déclarent que le nom 72 fois a été utilisé par Moïse pour traverser la mer Rouge et qu'il peut accorder plus tard aux hommes saints le pouvoir de chasser les démons, de guérir les malades, de prévenir les catastrophes naturelles et même de tuer les ennemis. [14] [15] Si ceci vous semble bien éloigné de la franc-maçonnerie, consultez alors les archives de l’Ordre des Chevaliers Elus-Cohen de l’Univers de MARTINES DE PASQUALLY et les rituels de théurgie qui en découlent.

Si notre grade comporte ce mot comme mot de passe, cela ne relève certes pas du hasard.


XXX


LES ENSEIGNEMENTS DU GRADE


Le tableau du grade nous livre plusieurs enseignements dont une première analyse confirme le caractère biblique voire judaïque : le buisson ardent de Moïse, les chiffres 3 5 7 9, la mer d’airain, un esclaire à 4 volées, l’autel d’alliance, … dont notre TCS Irène MAINGUY nous donne les explications des plus intéressantes. [16] Je vous renvoie donc à son livre qui pourra judicieusement éclairer votre recherche.

Mon propos, certes personnel, ne visera donc qu’à vous livrer une autre dimension dépassant le cadre judaïque initial.

De manière claire ou sous-entendue, ce grade accorde beaucoup d’importance à l’alliance qu’elle se traduise en premier par le buisson ardent ou ensuite, par la table d’alliance.

L’alliance avec Dieu [17] évoque inéluctablement l’arche d’alliance et donc le temple de Salomon censé l’abriter. Ceci n’est certes point sans rapport avec la gnose templière. En remarque liminaire, je préciserai en mise en garde que l’ordre du Temple a suscité un vif intérêt au sein du monde profane mais aussi du monde maçonnique engendrant bon nombre de fantasmes imaginaires, acceptés au 18ème siècle, puis rejetés. Dans ce souci d’écarter l’imaginaire, une part de la Vérité fut également sacrifiée. Disons-le franchement, nul aujourd’hui, pas même les francs-maçons du RER, ne peut se revendiquer aujourd’hui d’une filiation légitime de l’ordre du Temple.  Cependant, bon nombre d’historiens maçonniques s’accordent aujourd’hui sur le fait que les premières loges auraient vu le jour en Ecosse comme le souligne le document vidéo « La clef écossaise » [18]. Or la légende attribue à cette terre d’avoir été le lieu de refuge de plusieurs templiers suite à l’arrestation des membres de l’Ordre en France. Des édifices comme Rosslyn Chapel évoque ces échanges entre Chrétiens, francs-maçons et templiers.

LE TEMPLE DE SALOMON

Quel que soit le rite, toutes les loges symboliques charpentent leur travail sur le temple de Salomon : de sa construction à sa reconstruction en passant bien entendu par le théâtre du meurtre d’Hiram. L'agencement contemporain des temples maçonniques en France et dans le monde suit peu ou prou la même allégorie: celle du « temple de Salomon » tel que le relate le premier livre des Rois de la Bible (chap.5-6-7) ainsi que le deuxième livre des Chroniques (3 et 4).

Si le temple de Salomon reste la colonne vertébrale de la Franc-maçonnerie en symbolisant le lieu où se situent nos travaux, des cérémonies d’augmentation de salaire aux présentations de planches, il apparaît, sous le choix du nom de l’Ordre du Temple, qu’il fut sans doute l’objet de la mission première des fondateurs templiers qui, je le rappelle, sont restés 9 ans à Jérusalem avant de se consacrer à la mission attribuée couramment soit de protéger les pèlerins. Les faits historiques mettent quelque peu en défaut ce rôle premier de protection constituant la motivation de la création de l’ordre tel qu’on veut nous le faire croire et privilégie la thèse que la recherche était l’objet de leur départ à Jérusalem.

Les templiers firent , dans les ruines du Temple , une découverte remarquable , dont ils ne surent trop que faire au début : Il s'agissait de lambeaux de fragments d'écrits hébraïques dont le contenu devint très vite d'une importance décisive pour les chevaliers et pour toute l'histoire de l'ordre. Ces fragments furent remis à l'érudit Etienne Harding, cofondateur de l’Ordre cistercien, qui en fit la traduction et édita ainsi une bible, fort proche des textes kabbalistiques, que nous qualifierons pour le moins d’autre vision que le catholicisme institutionnel mais rassemblant les religions du livre.

Lorsqu’on analyse ces textes, fort proche des enseignements esséniens, on peut peut-être mieux comprendre pourquoi l’ordre du temple refusa de participer à l’inquisition contre les Cathares voire en furent les protecteurs.

Aussi, ma question : Pourquoi les fondateurs de la franc-maçonnerie ont-ils choisi aussi cet édifice du temple de Salomon faisant appel à l’ancien testament voire au judaïsme pour servir de cadre à leurs travaux ?

N’eut-il pas été plus judicieux de prendre un chef d’œuvre de l’époque, totalement dans la tradition chrétienne occidentale ou non religieux, comme par exemple Notre Dame de Paris. Si on admet la conception d’une origine maçonnique relevant des constructeurs de cathédrale, Notre Dame de Paris, construite par les compagnons du devoir et considérée comme le chef d’œuvre architectural des cathédrales devenait un choix bien plus logique pour la lignée du compagnonnage. Eh bien non, on prend pour cadre un temple des juifs. Non c’est délibérément qu’ils devaient transmettre  le lieu du secret dont ils avaient hérité. L’enseignement maçonnique du temple de Salomon dépasse largement les symboles de l’équerre et du compas ou de Jakin ou Boaz qui pouvaient figurer dans tout autre temple. L’important n’était pas là : ce sont bien d’autres symboles qu’il convenait de transmettre.

Ainsi, si on veut dépasser le stade de la formalité d’une maçonnerie pittoresque, il conviendrait de s’interroger, par exemple, de savoir ce que signifie réellement Jakin et Boaz lorsque nous y sommes placés ?

Quel que soit le rite, les grades d’apprenti et de compagnon ne servent qu’à préparer l’initié au sublime grade de maître et à son enseignement que seul l’initié réel pourra comprendre. Recevant le mot que le pittoresque maître limitera à « un droit de salaire », l’initié recevra l’héritage de l’enseignement templier et comprendra alors l’importance du temple de Salomon, le temple de iod-hé-vav-hé. Comme ses 9 prédécesseurs, il sera prêt à approfondir sa recherche en son temple maçonnique par les ateliers supérieurs qui feront de lui un chevalier. Soulignons enfin que Salomon est pour les trois religions monothéistes un grand et illustre personnage, roi - prophète et mage, alliant ainsi le temporel au spirituel, le royal au sacerdotal, soit l’union de Jakin et Boaz.

L’ARCHE D’ALLIANCE

Nous savons que ce symbole de l’union pactisée entre Jehovah et son peuple fut un élément clef de la quête templière. Un courant de pensée affirme même que les templiers auraient trouvé cette arche dans les ruines du temple de Salomon, l’auraient ramenée en France pour la cacher dans une forêt – la forêt d’Orient – qui n’est pas très loin de chez nous. Cette arche est constituée de bois d’acacia, vous savez, ce bois qui fut placé près du corps de notre maître assassiné et qui permit sa découverte. L’Arche d’Alliance "Aron" en hébreu, également appelée l’Arche de YHWH ou encore l’Arche du témoignage, était un coffre oblong, de bois recouvert d’or. Le mot ARON (Arche-coffre), provient de la racine "AR" signifiant Lumière et du suffixe "ON" signifiant la force; Soit ARON "La Force Lumière", ou "La Lumière qui est Force" !

Et souvenez-vous … Que demandez-vous ? La lumière ! Et vous recevrez en premier trois piliers : Sagesse, force et beauté. Beaucoup s’interroge sur le choix de ces trois qualités : on aurait en effet pu choisir l’humilité ou l’intelligence mais non. Beaucoup ignore que Sagesse, force et beauté sont les trois caractéristiques de l’arche d’alliance. L’apprenti intelligent déduira donc que la Lumière qu’il demande – ou plutôt la lumière qu’il est invité à rechercher en sa loge symbolique – c’est celle qui se caractérise par nos trois vertus soit l’arche d’alliance. Symbole de la tradition judéo-chrétienne, on concèdera qu’on peut en effet le retrouver au sein du parcours du régime écossais rectifié peut-être au sein du rite catholique irlandais, le REAA mais certes pas au niveau d’un rite qualifié de pur, authentique, laïc et non dogmatique, le plus ancien rite connu soit le rite moderne ou rite français.

Et pourtant, la révélation de l’arche d’alliance constitue le message essentiel du 2ème Ordre de Sagesse du Rite Moderne appelé Grand Elu Ecossais. Vous avouerez qu’il est pour le moins cocasse de voir nos seuls vrais et véritables grands maçons supérieurs, pittoresques robins des bois de l’athéisme, s’acharner à détruire nos bibles et les appellations GADLU de nos loges mais passer à côté de l’arche d’alliance, ô combien plus signifiante. Mais tant pour les templiers que pour les initiés, le trésor sans prix de l’Arche d’Alliance n’est pas un trésor terrestre ni une quelconque forme de richesse monétaire. Les trésors sans prix de l’Arche étaient la sagesse et les techniques spirituelles puissantes venant de Jésus, Moïse/Akhenaton et d’autres, ainsi que la vérité à propos de toute l’histoire de l’humanité.

Ceci ne rencontrait certes pas l’aval de la papauté. L’Église de l’Empire romain se rebiffe et contre-attaque avec les Inquisitions. Le petit clergé n’assimila que trop bien les nouveaux enseignements et les nouvelles mœurs qui en découlaient. Sauf que l’Église chrétienne, établie par l’Empire romain, dut constater qu’elle ne transmettait plus qu’un pâle reflet de la flamme provenant de la Lumière émanant de la sagesse et des techniques spirituelles de Jésus, dans son enseignement véritable. En principe, même une légère flamme suffit pour que les gens qui s’orientent vraiment spirituellement puissent atteindre l’Illumination, tellement la Lumière divine est puissante. Mais, ne peut atteindre un tel degré de Lumière que celui qui, dans sa vie courante, parvient à abandonner les désirs de richesse, de reconnaissance, de gloire, de pouvoir, de luxe, fomentés par l’ego. Tel fut sans doute l’origine du procès de la papauté envers les templiers. Le temps se répète toujours : hier, c’était la papauté catholique qui lançait les inquisitions, aujourd’hui c’est les papautés maçonniques qui le font oubliant ainsi la première mise en garde reçue : « ici tout est symbole » mais bien uniquement des symboles dont nous devons dépasser le stade du signifiant.

Mais si nous parlons d’alliance, on peut légitimement s’interroger sur quelle alliance on parle. L’arche d’alliance repose sur l’alliance entre l’homme, le juif plus particulièrement, et Jéhovah, son dieu. Il s’agit donc de la première ou ancienne alliance. Son importance pour le templier ou le maçon repose sur le fait qu’elle sert de fondement inévitable à la seconde ou nouvelle alliance établie, selon la doctrine, par le Christ [19], soit une alliance entre notre moi et notre soi supérieur, entre notre microcosme et notre macrocosme, ce qui dépasse largement le cadre religieux.

3 – 5 – 7 – 9

Les nombres 3, 5 et 7 nous sont connus depuis notre parcours en loge symbolique et voici que nous y ajoutons maintenant le nombre 9.

Dernier de la série des chiffres, le nombre 9 est également une référence du grade de Maître où il constitue le nombre de maîtres envoyés en recherche mais aussi la batterie du grade. Neuf fait partie des nombres les plus chargés de sens symbolique, il annonce à la fois une fin et un recommencement, une transposition sur un nouveau plan. Dernier des nombres de l’univers manifesté, il ouvre la phase des transmutations. Il exprime la fin d’un cycle, l’achèvement d’une course, la fermeture de la boucle. Dans la symbolique maçonnique le neuf est  symbole d’immortalité, le  cheminant avance sur la voie initiatique, de "Renaissance" en "Renaissance".

Nombre templier par excellence, iIl me parait inutile de vous rappeler les 9 chevaliers fondateurs de l’Ordre du Temple, les 9 provinces templières, la règle en 72 (9) points, ...

Quelques constats intéressants :

·         Leur somme donne 24 soit par réduction théosophique : 6, ce qui nous renvoie à Tiphereth et à la notion de l’éveil du moi – du christ selon la gnose – intérieur ;

·         Nous avons trois dispositions de 9 luminaires soit : le cube de 9 soit 729, ce qui donne 18 soit 9 ;

·         Lorsqu’on multiplie le nombre 9 par un autre nombre, la réduction théosophique est toujours égale à 9 ;

·         Il est le “triple-ternaire”. En tant que 3 + 3 + 3, le chiffre 9 évoque la puissance divine déployée : la Trinité qui s’exprime sur les trois plans de la matière, de l’homme et de Dieu. Élevé au carré, le 3 devient 9 (3 + 3 + 3) : on a là le ternaire dans le ternaire, l’ordre dans l’ordre, la perfection dans la perfection. Le 9 représente la totalité cosmique ;

·         Si neuf est chez Dante comme partout ailleurs le nombre du Ciel, il est aussi celui de Béatrice, laquelle est elle-même un symbole de l’Amour. [20]


CONCLUSION

C

e IIème Ordre de Sagesse termine quelque peu la phase uniquement maçonnique de notre parcours qui s’ouvrira alors à la chevalerie avec le grade suivant.

Il comporte des volets humanistes et spirituels et évoque l’Union sacrée, intérieure, qui doit être précédée d’une purification. De ce fait, certains auteurs [21] le qualifie de grade sacerdotal [22] : le grade de grand élu grand Écossais fait revivre au récipiendaire le sacrifice de Jacob et l’ordination sacerdotale d’Aaron. Travaillant ensuite sur le chantier du Temple, le récipiendaire découvre une voûte souterraine et secrète où est conservé le vrai nom de Dieu.

Sur ce point, le grade est parfaitement clair et ne souffre d’aucune autre interprétation : le nom du GADLU est JEHOVAH, n’en déplaise aux francs-maçons athées. [23]

Initiation sacerdotale fait référence, pour moi, à l’initiation sacerdotale selon l’Ordre de Melchisédech qui fut reprise par l’Ordre du Temple. [24] La bible nous enseigne [25], passage certes souvent occulté, que Jésus serait souverain sacrificateur pour toujours dans l'ordre de Melchisédech. Il est aussi curieux de constater que le premier partage du pain et du vin fut effectué par ce même Melchisédech. Mais ceci est une autre histoire …

Les thèmes essentiels du grade, la voûte souterraine, la pierre cubique en pointe, la découverte du delta, symbole de la parole perdue, … sont essentiellement les mêmes que ceux du 14ème degré du REAA.

SALOMON unit divers éléments de la connaissance, pour les fondre en un bloc unique, la pierre cubique en agate. On passe ici à l’union à l’unité, de l’union des Hommes à l’unité des valeurs. En effet l’un des objectifs des Maçons est de travailler à la réalisation de l’union des Hommes. Mais, sous des apparences vertueuses l’union peut cacher des objectifs contradictoires et même opposés. L’union peut aussi être faite dans un but pervers : les mauvais Compagnons assassins d’HIRAM ont réussi leur forfait car ils étaient unis. L’union ne peut être féconde que si elle tend à réaliser l’unité des valeurs, c’est à dire si elle travaille à l’adoption de valeurs universelles, valeurs portées par l’Humanisme maçonnique. Dans les rituels originaux, ce thème est illustré par la recherche de la connaissance et sa découverte, connaissance symbolisée par un bijou précieux qu’HIRAM aurait porté. Travailler à réaliser l’unité des valeurs, tel est aussi l’objet du 2ème Ordre.

Notons aussi en ce grade la mention de la « loi nouvelle », thème qui sera plus amplement développé au grade de Rose Croix, mais qui, ici, ne se rapporte clairement en aucune manière à la personne du Christ.

Les ressemblances entre MELCHISEDECH et JESUS sont multiples telles que les auteurs gnostiques l’ont écrit. Je ne peux aller plus loin mais soulignerai ceci : René GUENON [26] développa comme je l’ai souvent dit la notion d’une Tradition Primordiale, soit la vérité unique qui sous-tend, d'après lui, toutes les traditions spirituelles du cycle de l'humanité qui ne seraient finalement que des « traductions ». Pour Guénon, le point de jonction entre  cette tradition primordiale et la tradition hébraïque se serait matérialisé avec Melchisédech et ensuite, le point de passage entre l’ancienne alliance et la nouvelle, par Jésus mais aussi Notre-Dame. N’y a-t-il pas matière à réflexion ?

Mon expérience de TSPM m’a montré que le IIème Ordre de Sagesse restait souvent incompréhensible de la majorité des récipiendaires et de ce fait, son étude approfondie était souvent reléguée en arrière-plan. C’est sans doute une erreur car il comporte de profond enseignements sur le sens véritable de l’initiation maçonnique et nous ouvre de multiples pistes pour notre recherche.


[1] Pour rappel, l’écossisme désigne communément et actuellement le REAA qui n’est cependant pas d’origine écossaise mais bien américaine. Il désignait cependant au XVIIIème siècle, les hauts grades maçonniques.

[2] La constitution de la première obédience en Angleterre par 3 loges sous-entend l’existence préalable de ces loges donc de la franc-maçonnerie. Des rituels bien antérieurs furent d’ailleurs trouvés en Ecosse.

[3] Alain DRUART, les origines templières de la franc-maçonnerie

[4] L’instruction du grade mentionne les épopées templières , l’Ecosse et la Suède, lieu de fuite de l’Ordre du temple.

[5] René GUENON, les pierres de foudre

[6] Notons cependant, en certains rituels de loges bleues, la représentation de la pierre cubique surmontée d’une hache

[7] Jacky MILEWSKI, les ablutions des mains dans le judaïsme

[8] Et souvent oubliée par les francs-maçons : il suffit de le constater lors des procès-maçonniques

[9] Pierre MOLIER, article Antoine Chéreau, Pierre cubique du IIe Ordre

[10] Un exemplaire PDF est disponible sur demande

[11] Il est d’ailleurs curieux de constater la similitude entre l’alphabet maçonnique et les codes alphabétiques templiers

[12] « Tu feras un chandelier d’or pur; ce chandelier sera fait d’or battu; son pied, sa tige, ses calices, ses pommes et ses fleurs seront d’une même pièce » (Exode 25,31).

[13] Voir à ce sujet : Annick de SOUZENELLE, la lettre chemin de vie

[14] Robert AMBELAIN, la kabbale pratique

[15] Une magie découle de l’utilisation des 72 noms et fut enseignée par la Golden Dawn, Bacon, Matters et de nombreux occultistes.

[16] Irène MAINGUY, Symbolique des grades de perfection et des Ordres de Sagesse

[17] Au sens le plus large du terme

[18] La Clef écossaise est un film documentaire belge paru en novembre 2007 et signé Tristan Bourlard et François De Smet. Ses auteurs y exposent les théories les plus récentes concernant les origines de la franc-maçonnerie et s'appuient en particulier sur la piste dite de la « clé écossaise », développée à partir de 1988 sur la base des recherches de l'historien Robert L. D. Cooper

[19] Selon une autre acceptation que celle de la doctrine catholique

[20] René GUENON, l’ésotérisme de Dante

[21] Dont Pierre MOLLIER en son article « le IIème Ordre du Rite Français : un grade sacerdotal ? »

[22] Soit la transmission de connaissances secrètes

[23] Mais certes inexistants au XVIIIème siècle

[24] Jean-Pierre SCHMIT, l’initiation sacerdotale selon l’ordre de Melchisédech

[25] Hébreux 5: 6, 10; 6:20; 7: 1, 10, 11, 15, 17, 21

[26] René GUENON, le roi du Monde