Des
choix de la Spiritualité
Voir que tu construis une cathédrale en taillant une pierre
est spiritualité ; chercher la Vérité au tréfonds de l’Univers, aussi.
Esprit, âme, raison, conscience?
Mon compas trace large ouvert, mes bras, aussi.
L’Esprit,
est la vie qui s’est rendu compte qu’elle est.
Sentients, capables de nous examiner et
de juger, nous sommes notre esprit,
notre âme, comment se passer de ce mot ?
Cette entité
consciente de soi, est impalpable à ce jour. Est-elle faculté, fonction de la
matière vivante, phénomène vécu ou essence immatérielle, étincelle de souffle
divin ? La dispute va continuer, longtemps...
Certes, notre esprit
n’est pas chose fabriquée il est né. Pareil au vivant dans lequel il habite -
qui donne naissance à la nouvelle vie – il crée ce qui n’était pas
avant et il agit .
Sur Terre, seul l’esprit est donneur de
noms,
faiseur des langues et d’art.
Mon souffle vital, pneuma, anima, âme,
psychisme, « vie mentale », est-il périssable ou immortel ?
Accordé par la Divinité ou surgi de l’évolution de la Matière ? Je ne le
sais… le fait est que nous ressentons cet état,
nous sommes cet état sans pareil. Nous éprouvons, chacun, directement, à la
première personne, le goût de ce qu’est être sciemment quelqu’un[4],
sentir joie et douleur, juger, vouloir, désirer… Sans lui nous ne sommes
personne.
Il y a vie de l’esprit si en notre for
intérieur ont cours des sentiments et des valeurs, des vertus, des doutes et
des convictions, l’action, l’humilité, des devoirs et libertés. Une vision du
monde et un espoir peuvent s’appeler déjà spiritualité. A l’opposé, les
machines sont des engins fabriqués de substances mortes, leurs algorithmes
purgés n’ont rien d’une spiritualité, seulement la vie en est capable. La vie
de l’esprit seule, fait de nos filiations de mortels des histoires de vie uniques et irremplaçables plutôt que des chaînes
d’élevage et de production. C’est la vie seulement qui est douée d’espérance,
d’idéal, de pardon et de promesse. La vie et la société des humains.
Tout ceci émerge naturellement de l’univers
matériel ? Peut-être. Pourtant, cette vie de l’esprit est une chose qui,
dans les limites de nos connaissances, ne se trouvait pas dans la Nature sans
nous ; les idées ont généré la
transfiguration de notre espèce et du monde... Il me semble raisonnable de
considérer l’unicité de ce « phénomène ».
Pour la raison sèche, la spiritualité reste une
subjectivité, une illusion, voir, une superstition. Ceci me semble déplorable,
car ce qui désenchante le monde – même la vérité scientifique quand elle est
exclusivement de la matière inerte, des abstractions et des machines – assèche
la spiritualité et dégrade l’humain. Par des méthodes qui nient l’existence de
ce qu’elles n’ont pas prouvé et mesuré, rien ne reste en main en dépeçant le
comportement et le corps afin de contrôler s’il y a l’esprit. Pour citer Goethe
(en original, car il est mal traduit) :
„Wer will was Lebendig's erkennen und beschreiben,
Sucht erst den Geist heraus zu treiben,
Dann hat er die Teile in seiner Hand,
Fehlt leider nur das geistige Band.“
“Qui veut déceler et décrire le Vivant/cherche
se défaire de l'Âme avant, /puis, bien en main sont les parties, / hélas, manque
juste le Lien - l'esprit.”
Nier l’existence de l’esprit, dégrade
l’homme.
Vie spirituelle, spiritualité, intellect, religion ?
Humaniser le chaos.
Il y a aussi un
brin de spiritualité en tout savoir,
même intuitif, en tout symbole ou métaphore, mais parler, connaitre et
expliquer n’est pas tout. Une étincelle d’esprit vit en chacun de nous,
connaissante, éveillée et sensible, pourtant, pour affirmer une vie spirituelle, il faut comprendre l’émerveillement,
notre propension historique à enchanter
le monde en lui attribuant
signification et destinée.
La spiritualité est encore plus que
ceci, bien entendu ; c’est l’esprit des humains réunis en civilisation, quand
ils osent et se surpassent, de mille
manières, vers des théories et idéaux qui transcendent la matérialité
vulgaire ; que ce soit par le savoir compris ou par la foi, le mystère ou
la raison, par l’intuition, par le génie, par le sacrifice, par la musique, par
la découverte et le culte de la vérité, par l’extase ou les mathématiques… pourquoi
pas. On vit notre spiritualité de diverses manières, solitaires ou ensemble.
Par la méditation, l’extase, par la prière, par un satori ou une révélation, ou en comprenant soudainement, en
exclamant « Aha ! Eureka ! » … On exprime la
spiritualité par une diversité de symboles et rituels, par des cérémonies, mais
aussi par l’appartenance, le vécu et le faire
de chacun ; le travail bien fait, la pierre bien polie, l’œuvre inspirée,
l’art vécu, la pensée selon la méthode scientifique ou la philosophie.
Notre monde ainsi
enchanté ou expliqué, nous devient compréhensible, cohérent, prévisible, digne,
porteur d’espérance. Pour parler vraiment de spiritualité, l’essentiel est ce
que l’être pensant éprouve, croit et fait du vécu, du savoir et des idées, pas
seulement ce qu’il sait…
La raison de la
spiritualité est d’apporter humanité et harmonie dans le chaos.
L’abondance éphémère, la somme de tous nos esprits ici
sur Terre – la Noosphère
- englobe l’ensemble des vies mentales de l’humanité, vécus émotionnels et
moraux inclus. Leur mémoire collective survit à la mortalité. Naturellement.
Une partie de ces trésors se garde dormante, inscrite dans des livres, les
édifices les outils et les arts. Une autre partie, vive, habite nos vies
mentales, nos souvenirs, les langues et les coutumes des nations. Elle circule
par notre communication. Le tout se perpétue à travers les générations, par les
traditions, par les sagesses, les spiritualités et les savoirs, les cultures,
les civilisations.
De sa rencontre avec la réalité,
la
société de Homo Faber extrait connaissance et pouvoir, mais elle y rajoute sens
et valeur. Ainsi seulement, l’esprit éveillé de la vie devient véhicule et contenant d’une vie spirituelle.
Car l’Humanité, comme la Vie, apporte à l’Univers
aveugle, qui s’ignorait, sens et formes qui n’y étaient pas et qui, sans
l’Homme, disparaîtraient. Sur la « Nature telle qu’elle
est », l’homme décalque ses significations, ses mesures, ses façons de
comprendre et l’expression de ce que les choses valent pour nous humains.
L’Homme apporte ses manières de vivre et de gérer son monde, avec des outils spirituels qui ne se trouvaient
pas dans la matière sans lui : la Raison et le savoir, la Méthode
Scientifique, mais aussi la compassion, l’espoir, la foi transcendante, la
morale, la responsabilité, l’esthétique. L’homme apporte ses questions, son
« Pourquoi pas ? », la tristesse, le regret et le rire, la
fidélité et la trahison, la solidarité et le rejet. L’homme apporte les mots et
avec eux l’outil de la vérité, du mensonge et de l’art. D’où viennent le
non-être, les mathématiques, l’Utopie, le Bien et le Mal, la Beauté, sinon de
l’esprit ? L’homme invoque et honore, il discerne et célèbre le sacré.
L’homme institue des symboles et des vérités morales, invente des formes nouvelles et s’empare de forces
démiurgiques capables de donner forme
ou, au contraire, de transformer, de déformer ou tout détruire.
L’Esprit
intelligent, dès qu’il s’éveille, devient cause. Par
anticipation, l’intellect est capable de décider à l’envers du temps, depuis un
avenir imaginé, depuis ce qu’il croit ou calcule, vers l’ici et maintenant,
pour former son intention et agir. Ainsi, une religion ou une doctrine peuvent
devenir un empire sur Terre. Par ce pouvoir, avec ses choix, l’esprit, le
penseur, le croyant, deviennent initiateurs et responsables. Ils débutent des
cours d’action nouvelle, ils façonnent les substances, organisent, inventent et procèdent à rendre réels des outils puissants,
des œuvres et des sociétés tels que le monde « devrait être » d’après
notre point de vue humain. Un monde potentiellement bon, beau, vrai, juste,
sage, généreux, fraternel, sacré. Ou l’inverse. Pour le
meilleur et pour le pire. Car la spiritualité peut servir
autant la vie que la mort, génératrice ou dévastatrice, humaniste ou
antihumaine.
Tout ce qui est
spiritualité n’est pas nécessairement bon.
On est justifié de dire qu’on a une vie spirituelle quand l’aspiration
de vivre, comprendre et de faire embrasse autre chose en plus d’un Univers
exclusivement mécanique et biologique, fait de substance, énergie, information,
déterminé sans liberté, par des causalités réduites à la physique et aux autres
sciences « exactes » L’être humain et sa société
ont un besoin inné de vivre plus haut, de croire et révérer quelque chose, même
une utopie.
« Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les
rêves…»
La vie de l’esprit devient
spiritualité… pourvu qu’on la respecte
Tout commence humblement : ma spiritualité
s’éveille quand que je me demande pourquoi je vis, pourquoi je suis né, moi et
pas un autre, à quoi je sers.
Quand je comprends que je ne comprends pas et je suis curieux de ce dont je
suis ignorant au lieu d’en être fier. Quand je m’étonne et je m’émerveille.
Quand je me passionne pour des idées. Quand je pose des questions, surtout
« Pourquoi ? ». Quand je doute. Quand je découvre quelque chose
qui change ma vie comme une nouvelle lumière. Quand je ressens l’enchantement
et l’altruisme. Quand des actions ont sens pour moi, pas seulement cause ou
utilité. Quand je me construis une citadelle
intérieure à l’instar de Montaigne ou de Goethe. Quand mes pensées sont
belles. Quand je veux devenir meilleur.
J’exerce ma vie spirituelle quand,
scientifique ou mystique, je réfléchis au-delà de mon corps, de ma survie
animale et sociale, de mes intérêts et plaisirs et de la souffrance primaire, la
chair et les os. Je la vis quand je ressens comme une attirance les limites de
ce que je suis et sais, de mon savoir et de mon ignorance aussi. Ceci
m’enrichit sans cesse, l’ennui est impossible. J’attends de ce monde intérieur
passionnant qu’il me guide et me soutienne d’espoir durant mon voyage par la
grande forêt du connu et de l’inconnu, même par-delà de la mort. Avec
ma spiritualité, je ne suis jamais seul.
Je crois que
s’ennuyer souvent signale le manque de spiritualité.
La face visible de
la spiritualité, qu’elle soit laïque ou religieuse, nous la pratiquons sous
forme de rituels et de cérémonies. C’est une multitude de rituels, gestes
symboliques et communions - quotidiennes ou sacrées.
Toute activité
humaine importante acquiert avec le temps une valeur symbolique et tend à se
ritualiser.
Une pluralité de spiritualités –
Un jardin d’échelles vers le plus haut
Dans mon opinion,
la spiritualité est ainsi la vie de
l’esprit – ce souffle si léger que la Science d’aujourd’hui n’arrive pas encore
à le saisir ou le mesurer
– quand elle se hausse et se dépasse, que ce soit par le savoir, par la raison,
par l’intuition, par le talent, par la foi, par l’émotion, par la découverte ou
la révélation si vous voulez. On la vit de mille manières, par des évènements
révélateurs et des rituels sociaux ou religieux, des cérémonies ou spectacles
ou par la méditation, par l’extase, par la musique...
On la vit aussi par la vocation et par l’œuvre ; qui va nier qu’il y a une
spiritualité du travail, de l’ouvrier et de l’œuvre, de la chose bien faite,
inspirée, qui rejette la médiocrité au service de ce qui est plus haut ?
Dire
qu’il y a une seule manière de s’élever spirituellement, la seule spiritualité
vraie et exclusive, devient souvent un aveuglement totalitaire ou un mensonge.
Inévitablement, par
la pluralité de modes de vie, d’intelligences et de domaines, il y a plus
qu’une spiritualité : l’Humanité a ses intelligences et ses mentalités
dissemblables, qui ressentent et comprennent, qui savent et croient avec des
différences irréductibles. Ces Weltanschauungs,
agissent pour concevoir et pour changer le monde à leur image. La
spiritualité des Hommes ici sur Terre[14],
on l’a observée en une multitude de formes, contemplatives ou actives, des
progressions du savoir et de l’imaginaire qui ont évolué du temps des cavernes
à nos jours[15]…
L’Histoire, la Civilisation, la Terre transformée par l’Anthropocène, la
condition humaine, en résultent, toutes œuvres de notre esprit.
Comparer et mettre
en hiérarchie les voies de spiritualité n’est pas raisonnable, car elles sont plurielles et ceci veut dire incommensurables. Parfois incompatibles.
On peut rêver les réduire l’une à l’autre en imposant un seul critère de
vérité, de réalité ou de mérite. Elles correspondent à des domaines de vie
différents. Elles suivent des intérêts différents. Quelle absurdité de se faire
arbitre unique dans ce jardin d’échelles vers le plus haut, autant de voies
d’élévation !
Non seulement il y a plusieurs voies,
mais souvent, en la même personne, on en observe plus d’une à l’œuvre ;
rien n’empêche le grand savant d’être grand croyant ou mystique, le poète
d’être religieux ou athée, le danseur d’élever le corps à l’idée et au sacré.
Rien n’empêche le prêtre d’être dédié à la Méthode Scientifique – savant qui
consacre sa passion à la science ou à l’art. Rien n’empêche l’athée d’être
grand érudit, même scrupuleux théologien, qui réfléchit et agit de bonne foi au service de la
spiritualité. La largesse d’esprit permet la coexistence dans la pluralité.
Pourtant, respecter cette altérité requiert tout d’abord
s’ouvrir l’esprit, concevoir qu’il y a inévitablement des choix de la vie de
l’esprit. Ce sont des portes et des voies ouvertes à
la liberté autant de conscience que de croyance et à la dignité de l’homme, au
respect de soi mais aussi d’autrui. On y a tous droit, le progrès spirituel de
la Civilisation les a inscrits dans les Droits de l’Homme, de pair avec la
recherche du bonheur.
Il y a la spiritualité
du visionnaire, du poète, de l’écrivain, qu’on ne peut pas distiller à une
seule quintessence ; Homère, Lucrèce, Ovide, Victor Hugo, Byron, Shelley,
Shakespeare, Schiller… enfin un Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire,
portent chacun leur spiritualité complexe. Des chefs-d’œuvre - je pense à des
auteurs du calibre de Rabelais, Goethe, Tolstoï, Thomas Mann, Hermann Hesse… ou
George Orwell - suscitent des vues du monde qui éduquent l’humanité,
qu’elles soient religieuses ou non. On ne va pas leur nier la spiritualité
quand ils pensent autrement.
Que dire de la voie du guerrier, du Hagakure des
samouraïs, des Arts de la Guerre de Sun Zi sur leur arrière-fond de Tao-te
Ching, du tout faire par le vide et le non-faire?
Des génies de la
guerre dont on ne se souvient pas car ils étaient parfaits, ou d’autres,
sanguinaires, comme Alexandre le Grand, Gengis Khan, Bélisaire ou Napoléon…
n’ont-ils pas vécu selon une spiritualité machiavélienne du conflit, de la
conquête et de la victoire, une mentalité de la domination qu’on ne peut pas
nier ou négliger ? Les Marines, la
Légion Etrangère ont leur esprit de
corps, bien authentique. Dans leur training
on se croirait en rituel d’initiation. Une spiritualité du devoir, du courage,
de la camaraderie, de la loyauté jusqu’à la mort.
Il y a dans le yin et yang de l’univers conçu un pôle
contemplatif – la méditation ou l’extase mystique, l’enthousiasme ou la
sérénité, le faire par le non-faire...
Il prend distance ou se confond avec l’Univers et ainsi il se lève au regard d’en haut, du dedans, en dedans.
Avec ou sans dieux. Pour vivre après la mort ou pour se dissoudre dans le Tout.
Les arts, partis en
timides ébauches de manifestation spirituelle, puis servants des religions et
des potentats, se sont métamorphosés au cours de l’histoire en porteurs de
spiritualité à part entière : Leurs formes et images, le jeu des symboles
et des couleurs, leurs mouvements, leurs sons harmoniques, leurs rythmes,
moulent les émotions et le vécu des peuples. Chaque art apporte sa langue et sa
sensibilité propre pour enrichir le monde avec des œuvres uniques. Les arts
suffissent à combler de beauté les vies de certains créateurs et nourrir
l’héritage des civilisations et la spiritualité de ceux qui s’y nourrissent.
L’architecte et le
maçon, le peintre génial, qui érigent et décorent les cathédrales et les
cultures, le danseur, la ballerine, qui expriment en mouvement, le dramaturge
et son acteur qui donnent vie à la scène et éduquent des nations, la musique
qui adoucit les mœurs, divine – on peut dire – par elle-même, la voix qui chante
et qui envoûte, tous vivent et éveillent des spiritualités authentiques et
intenses… de la chose bien faite, la chose belle, à la chose qui change le
monde.
Le matérialisme pur
et dur, même défini contre toute spiritualité, est à mon avis une forme
d’anti-spiritualité,
contrepartie rebelle de la spiritualité religieuse. Avec ses ascèses, idéaux,
valeurs et vocations, tous ces libérateurs, Démocrite, Épicure, La Mettrie,
Diderot, Holbach, Voltaire, … jusqu’à Karl Marx, manquent-ils de vie
spirituelle ? Ne proposent-ils pas leur foi alternative, leur culte du
Progrès, de l’économie ou du politique qui a changé le monde ? Une spiritualité
sans religion
Et les idéologues – idéalistes abstraits ou haineux –
ces corrupteurs qui manipulent l’imaginaire des foules, n’ont-ils leur ersatz
de spiritualité noire ou rouge, antihumaine, totalitaire et utopique ?
L’esprit du communisme n’a-t-il pas assez hanté l’Europe pour le prouver ?
Le fascisme n’a-t-il pas failli nous engloutir ? Pour ne pas finir en
chair à canon des nouvelles ou revenantes idéologies qui, au lieu de s’élever,
s’engouffrent dans la matière – post -humanisme, technoscience, écologisme
radical – il est urgent de révéler et
déconstruire l’inhumanité de leur mentalité profonde plutôt que de s’éblouir de
leur surface enthousiaste.
Les Frères ennemis
Bien entendu, la
grande alternative à la spiritualité que les religions, qui osent croire, revendiquent comme leur héritage exclusif, légué
par Dieu, est devenue la Science à laquelle les églises dénient toute
spiritualité en la reléguant au niveau de la vulgaire matière. Ceci au point de
revendiquer marque déposée exclusive sur les mots « esprit »,
« spiritualité » ou « vie spirituelle ».
Les pontes de la science le leur rendent bien, en niant l’existence de la
divinité et, du même pas, de l’esprit.
La Science est pourtant une grande voie de vérité, parmi les voies de
la spiritualité. Celle qui ose savoir au
lieu de croire. Celle qui remplace le Chaos avec un Cosmos.
Voir Galilée, Isaac Newton, Max Planck, Darwin, Niels Bohr, Einstein, Werner
Heisenberg, les Curie, Stephen Hawking… La spiritualité de la Science est
l’enchantement de la découverte et l’idéal de la théorie. Les systèmes sont ses
œuvres d’esprit.
Dans l’Histoire, la
religion et la science sont, à mon avis, deux cultures puissantes qui
comprennent et façonnent la réalité différemment. Les deux sont sans limite,
parties pour tout couvrir, sans bornes. Deux frères ennemis, des Caïn et Abel
engendrés par les successions historiques de la spiritualité humaine. Je dirais
que la Science est la face de la spiritualité qui se veut objective, opposée à
d’autres, morales ou idéales, comme la Religion. La science, spiritualité de la
curiosité et du rationnel, extrait et distille du monde une théorie de la
réalité[22] ;
les prémisses de cette théorie transcendent en spiritualité invérifiable, le
savant surpasse l’explication de causes, en se demandant ce que sa découverte
signifie pour l’humain ; ainsi, les données et l’information deviennent
sagesse qui fait comprendre et maîtriser ce qu’on découvre ou invente en faveur
de l’humanité au lieu de subir un « progrès » idolâtré. Science et
foi sont des choix justifiables en leurs propres termes en leurs propres
domaines. Ce siècle est mûr peut-être pour surpasser la négation réciproque
vers une vision plus spacieuse, de complémentarité
plurielle.
L’univers,
« objectif » comme il l’est, vaut pour nous à travers ce qu’il
représente pour nous, par ce que nous comprenons pour en faire usage ou nous en
protéger. Notre Univers est humain. Il devient spirituel par nos symboles et
notre foi, le respect et l’interdit du sacré, par l’amour, par la beauté ou la
laideur, le bien et le mal, la justice et l’injustice, plus que par la
falsifiabilité ou la vérité scientifique et encore moins par la réussite des
technologies et des empires du profit.
L’esprit
scientifique, c’est de trouver insupportable de ne pas savoir et
quantifier ; devenu dogme, il brûle de simplifier l’inconnu, en le
réduisant à quelque chose de cohérent avec ce qu’on sait, au moins de
mesurable, connaissable et explicable. Prévisible aussi. Le reste ne compte
pas, n’existe pas, pour de vrai... Sur ma voie personnelle, une des maturités a
été de respecter le droit à l’erreur et à la différence irréductible des
convictions, d’apprendre au contraire à vivre sereinement, confiant du peu que
je sais et comprends, comme avec une petite bougie allumée, au milieu de
l’univers, que je crois inépuisable d’inconnu.
L’athéisme
lui-même, matérialisme devenu mouvement de pensée et de révolte, se définit –
curieusement à mon sens – par négation de toute divinité … mais afin de sacrer
l’homme, la Raison et la liberté de penser. Il propose sa conviction
émancipatrice comme une alternative somme toute spirituelle... Voir d’Auguste
Comte à Richard Dawkins, Christopher Hitchens, et d’autres passionnés…
C’est toujours la métaphore mythique de Prométhée.
Au sommet de la vie
de l’Esprit, les grands philosophes de l’Antiquité, comme les saints,
proposaient des spiritualités et surtout les vivaient.
Les philosophes sont souvent des sages. Personne ne va leur nier la vie
spirituelle des penseurs, leur « amour pour la sagesse » leur vie
contemplative, indépendamment de ce qu’ils professent. On ne va pas nier que
Platon ou son Socrate proposent une spiritualité, Aristote aussi. Mais qui va
soutenir que Nietzsche n’a pas vécu une grande vie spirituelle ? Les
philosophies sont autant de propositions d’idéal, qui apportent sens et
civilisation au Monde, qui cherchent à discerner l’ordre dans le chaos…
Les croyances, théories, idéologies, convictions,
dogmes, utopies, même les terribles dystopies, sont autant d’idéaux de
perfection. Toutes ces voies visionnaires, nobles, parfois en collision avec le
bien-être de l’Humanité, visent à créer « L’homme nouveau ». Il
arrive qu’on croie grimper sur une échelle de Jacob quand ce n’est qu’une tour
de Babel. En fait, notre spiritualité est peuplée d’une pluralité d’histoires
merveilleuses, mythes, récits fondateurs, légendes, croyances, traditions,
cultes, rituels initiatiques et d’élévation sacrés ou civils, savoirs plus ou
moins certains, dogmes plus ou moins figées, logiques plus ou moins prouvées,
enfin, une longue liste de ce qui compose notre culture toujours changeante.
Sans ce monde mental de métaphores, on vivrait comme des fourmis.
Elles sont nombreuses, ses échelles qui montent. Je
conclus que les spiritualités humaines sont cent nobles fleurs qui fleurissent,
un kaléidoscope de voies vers le plus haut, presque indépendantes de comment on
conçoit ce plus haut ; Ciel, divinité, Etoile du Nord, morale, la Vérité,
l’extase, l’ataraxie… ou plus largement, la sagesse et le bien-être de
l’Humanité. A ce point de ma recherche spirituelle, je crois – sans grande
originalité – que le voyage vaut plus que la destination.
Mille chemins
forment la quête spirituelle émancipatrice accessible à chacun d’entre nous,
plutôt qu’une vérité reçue toute faite pour nous caser, aussi parfaite qu’elle soit.
« Nous sommes de l'étoffe dont sont
faits les rêves… »
Oui. Le compas est
largement ouvert.
Ioan Tenner Véme Ordre Grade 9
Grand Orateur du Suprême Conseil du Rite
Moderne pour la Suisse