Le dualisme des cathares

Il est quasiment impossible d'expliquer en détail et en peu de temps de ce que furent les cathares, ou de ce que fut l'histoire de cette guerre qui dura plus d'un siècle et qui ne faisait que 3 lignes dans nos manuels d'histoire.

Je vais essayer toutefois d'ouvrir quelques portes qui j'espère vous donneront envie d'aller chercher plus loin.

Pour les amateurs d' histoire, c'est quand même le récit d'une conquête sanglante, pour les amateurs de sociologie, on plonge en plein moyen âge dans une société tolérante qui encourage une religion qui remet en cause les fondements mêmes de la féodalité, qui donne aux femmes des droits identiques aux hommes, qui accueille ces parias de l'occident Chrétien que sont les juifs et qui va jusqu'à leur donner des charges officielles, enfin pour les amateurs de théologie ou de symbolique religieuse une approche du binaire et une tentative d'explication de l'être et du non être.

Tout d'abord, s'il est un mot qui va revenir sans cesse ce soir, je veux parler du mot cathare, il est bon d'en expliquer le sens réel.

Est-ce que tout le monde ici en connaît le sens ?

Ce mot ne figure que dans les minutes des procès de l'inquisition, jamais il ne fut utilisé, prononcé ou écrit par ceux que l'on a affublé de ce surnom.

Entre eux les cathares s'appelait "Chrétiens" ou bons chrétiens quand ils avaient reçu le consolamentum, leur seul vrai sacrement. Les gens du peuple les appelaient plus généralement les bons hommes ou les bonnes femmes, en raison de l'exemplarité de leur vie aux antipodes du clergé catholique.

La traduction simpliste de cathare en "pur" ou "parfait" par analogie au grec cataros est d'une incommensurable bêtise.

D'abord aller chercher une traduction grecque d'un mot sorti de manuscrits en latin, peut paraître un peu facile, ensuite comment peut on imaginer que les inquisiteurs qui n'ont eu de cesse de souiller, rabaisser, diaboliser ces pauvres hérétiques, les surnommer : les purs ou les parfaits.

La réponse est sans doute dans un manuscrit écrit sur l' hérésie en 1099 par un moine germanique ou le terme utilisé est "cathus", mot dont on affublait les sorciers et tous ceux qu'on désignait comme ayant commerce avec le diable.

Cathus voulant dire : qui embrasse le derrière d'un chat. Allusion au chat noir qui paraît-il accompagnait toujours les sorciers et dans lequel le diable s'incarnait. Le baiser au postérieur du diable était le signe d'allégeance aux ténèbres.


Un peu d'histoire.

Les hérésies dualistes ne sont pas apparues soudainement au 10eme siècle, elles sont sans doute aussi vieilles que le christianisme. Certaines églises disaient tenir leur enseignement directement d'apôtres du Christ.
Toujours est-il, qu'il existera une multitude d'églises dualistes, dont la plupart n'auront qu'une vie très éphémère. Toutefois 3 de ces églises vont devenir assez puissantes pour concurrencer l'église catholique : les pauliniens au moyen Orient et Asie Mineure, les bogomiles ou bougres dans les Balkans, les cathares et les vaudois dans le Languedoc.

Revenons à nos cathares.

Entre le concile de Charroux en 1029 et le début de la croisade en 1209, il n’eut pas moins de 14 conciles pour condamner l'hérésie languedocienne, c'est dire la volonté papale de se débarrasser des cathares. Mais l'église officielle ne pouvait rien sans l'appuie de la noblesse languedocienne qui, si elle n'était généralement pas acquise à l'hérésie, refusait les ingérences du pape dans leurs affaires et tolérait les prêcheurs cathares, souvent des hommes et des femmes issus de leurs castes.
Plusieurs de ces conciles virent des évêques cathares et des religieux catholiques s'affronter verbalement. C'était quelque chose de complètement impensable dans les états du nord où l'église officielle envoyait directement au bûcher les hérétiques. Mais en Occitanie, la tolérance religieuse était un fait .

L'homme qui fera basculer les choses, c'est le pape Innocent III en 1198. Apres 10 années passées à essayer de convaincre le roi de France Philippe Auguste, il y parvient enfin après l'assassinat de son légat, Pierre de Castelnau.
Le pape va "exposer en proie" toutes les terres languedociennes au mépris du droit féodal. Cela va pousser une multitude de petits féodaux du nord de la gaule à venir se tailler des fiefs à la force de l'épée.

Le 22 juillet 1209 marquera le vrai début de la croisade avec le massacre des 6000 hommes, femmes et enfants de Béziers.

S'en suivront une succession de grandes et petites batailles, de sièges de cités, tour à tour toutes les cités tomberont aux mains des croisés, seront reprises par les languedociens , puis de nouveaux conquises.

Chaque fois cela donna lieu à de grands massacres, surtout les 2 premières années de la guerre, où Simon de Montfort fit brûler plus d'hommes et de femmes que l'inquisition pendant des siècles.
Avec la condamnation au bûcher en 1321 du dernier évêque cathare Belibaste et l'emmurement en 1328 de 510 hérétiques dans les grottes de Lombrive, une chape de plomb allait recouvrir l'hérésie cathare et l'invasion des Francs pratiquement jusqu'au 20e siècle.

L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs, c'est un fait, et les documents les plus abondants sur les cathares sont en fait des procès-verbaux d'hérésie

L'ouvrage d'origine cathare, le plus important que nous possédions est le livre des deux principes écrit par Jean de Lugio.
Devant aussi peu de documents, il convient d'être extrêmement prudent.

Toutes les religions ont un fond dualiste, il y a toujours le combat du bien et du mal, le catholicisme romain affirme aussi la présence d'une créature malfaisante en face de Dieu, mais elle fait de cette créature une composante de la création qui primitivement bonne ne serait devenue mauvaise que par le pouvoir que sa liberté lui aurait laissé.

Le mal n'est pour les catholiques que le résultat du libre arbitre de Satan, puis de l'homme. Cette affirmation, les cathares la rejetaient en bloc, et, ce fut un des piliers principaux des procès en hérésie.

Si la corruption de l'homme par un mal déjà existant, leur semblait possible, il leur paraissait impossible et tout à fait illogique que Lucifer ait pu se rebeller contre son Créateur et préférer l'orgueil de sa déchéance au lieu de son accomplissement dans l'éternel amour.

Pour les cathares cette vision était incohérente. Le mauvais principe ne pouvait être issu de Dieu, il ne pouvait être qu'un principe indépendant de Dieu. A l'appuie de cela citons un écrit anonyme cathare : "La Liberté n'a aucun sens, si le mal n'est point déjà là pour s'offrir au libre choix, et si, de façon inexplicable, la liberté doit faire sortir le mal d'elle-même."

Si ce concept du bien et du mal était la première des affirmations de la métaphysique cathare, il faut bien l'avouer, et c'est pour cela que j'ai employé tout à l'heure le terme d'illogique, elle tient bien mieux la route que les affirmations de l'église romaine.

Il est difficile au vu du peu de documents que nous possédons de donner une définition absolument exacte de ce que les Cathares entendaient par mauvais principes.

Il apparaît plutôt que cette croyance n'a jamais été statique et que l'interprétation a constamment évolué au cours des temps.

Toutefois il est absolument certain que les cathares étaient monothéistes, ils n'ont jamais vu dans le mal une puissance égale à Dieu. Le mal qu'ils assimilaient souvent à la matière ne pouvait en aucun cas rivaliser de puissance avec l'amour éternel. C'est là même la différence fondamentale avec le manichéisme,
Croyance en un Dieu qui n'aurait pas voulu le mal, qui néanmoins, à chaque instant se manifeste dans sa création afin de la contrer dans la perfection.

Pour les catholiques romains, la notion du mal a toujours été mystérieuse, et n'a jamais reçu de vraies réponses. Bien sûr pensent-ils, Lucifer a été bon et il a succombé à une influence plus forte que lui, mais l'église de Rome n'a jamais pu affronter cette propre contradiction à ses principes. La liberté de Lucifer n'explique pas tout, elle suppose l'existence d'un être plus fort, plus monstrueux, véritable instigateur de la révolte.

L'étude philosophique des textes sacrés avait amené les cathares à une interprétation spécifique.

Le mal ne pouvait se situer que hors de la sphère divine. Ils ne pouvaient admettre que Dieu le représentant de l'infini bonté, puisse d'une façon même légère dégrader ses créatures. En lui n'était ni mal, ni néant, il ne pouvait faire que le bien.

Pour bien expliquer cette pensée citons le théologien cathare Jean de Lugio : "Si Dieu ne veut pas tous les maux, s'il ne veut mentir ni se détruire lui-même, sans nul doute il ne le peut pas. Car ce que Dieu dans son unité ne peut pas, il ne le veut pas. Dieu lui-même et sa volonté ne sont qu'une même et seule chose. Il faut donc croire avec fermeté que le Dieu Bon n'est pas qualifié de tout puissant parce qu'il aurait pu faire ou pourrait faire tous les maux qui ont été, qui sont ou qui seront, mais parce qu'il est tout puissant en ce qui concerne tous les Biens qui ont été et qui seront d'autant plus qu'il est la cause absolue, le principe de tout bien et qu'il n'est jamais en aucune façon par lui-même et essentiellement cause d'un mal."

C'est à cause ou plutôt grâce à ces principes théologiques que les Cathares ont absout Dieu de tous les crimes ou erreurs que lui prête la Bible.

C'est par cette imperturbable logique que les Cathares rejoignent la pensée manichéenne : Dieu n'a pas de mal à opposer au mal.
Il n'est donc possible de résister au mal qu'en ne lui opposant que le sacrifice.
Sacrifice relatif puisque la création à l'image de son créateur est éternelle, alors que le principe mauvais ne peut-être qu'éphémère.

Dans un texte dualiste d'inspiration manichéenne on peut lire d'ailleurs : "Et comme Dieu n'avait aucun mal à lui opposer, il envoya à ses devants une âme qui devait se mêler à elle (la matière) pour, en s'en détachant, causer sa mort."

Le sacrifice de Jésus Christ s'en trouve expliqué, du moins si l'on admet cette conception des Ecritures. En tout cas cette logique métaphysique devait avoir plus d'échos que les inexplicables mystères dont aime s'entourer l'église catholique.

Dans d’autres textes cathares que l’on qualifie de dualisme mitigé, les croyants ne reconnaissent absolument pas la nature humaine du Christ. En cela il refusait également la croyance à la crucifixion .

La pensée catholique admet dans la création un certain nombre de contradictions. Dieu aurait pu créer ce monde librement, en faisant en sorte que des choses soient contraires. Mais qu'en fin de compte, étant le seul principe organisateur, tout lui est un jour ramené. Ces contradictions sont généralement qualifiées de seulement relatives.

Les adeptes de cette conception philosophique admettaient toutefois qu'il était difficile pour l'esprit humain de distinguer ce qui était le mal relatif, c'est à dire les possibilités pour la création de le commettre, et le mal absolu, qui lui ne peut émaner de Dieu.

Cette pensée philosophique qui tend à admettre la coexistence dans une même création du crime et de la beauté était proprement inadmissible pour le plus simple croyant cathare.
Le seul fait de croire que Dieu n'aurait pu créer qu'un bien relatif leur semblait une impossibilité absolue.

Or, il faut bien le reconnaître, la création est pleine d'imperfections, alors il faut bien admettre si l'on suit la pensée cathare, que lorsque Dieu se manifeste et crée, il est contraint de s'accommoder d'un principe différent de lui qui transforme la création voulue bonne en un monde du mélange ou les créatures peuvent pêcher ou se perfectionner.

La création est donc inachevée car comme le temps qui est lui aussi d'essence maligne, ce n'est qu'à la fin des temps que le principe bon éliminera le principe corrupteur.

Mais si l'on identifie souvent les cathares à leur interprétation du mal, qu'entendaient-ils par principe bon ?
Il n'est pas du tout évident de donner une réponse concrète, car eux-mêmes ont donné des avis assez divers, notamment en ce qui concerne la matière, ils n'ont jamais clairement défini si elle était une création mauvaise, ou une création de Dieu corrompue par Satan.

Pour tenter d'expliquer leur conception de la création, les cathares se servaient d'un texte complexe intitulé l'Ascension d'Isaïe. Texte formé par la compilation de trois autres : le Martyre d'Isaïe, le testament d'Ezéchias, et le vision d'Isaïe.

On retrouve dans ce texte diverses inspirations : juives, chrétiennes et gnostiques.

L'ascension d'Isaïe raconte son enlèvement par un ange et son envol à travers les 7 cieux qui séparent le créateur des êtres les plus éloignés de la création.

Cette vision très hiérarchisée de la création amène à une constatation, certains êtres trop éloignés du sommet sont prédestinés à succomber au mal. Il y a peu de place pour la liberté (absence de libre arbitre).
Chaque ciel est séparé du précédent par une barrière néantisante qui interdit à toute matière maligne de la franchir. En haut est l'être le plus pur, en bas est le néant. Seul le 6ème et le 7ème ciel sont protégés du mal, et, c'est donc dans les cieux inférieurs que se produisent les grands combats entre les 2 principes dont l'issue est leur éloignement du sommet, ces créatures n'étaient-elles pas prédestinées à succomber au mal.
Cette vision tend à expliquer que le mal provient du mélange entre les 2 principes, et, qu'à la fin des temps le mal sera contraint de rendre à Dieu ce qui lui a permis d'exister dans la création.
Alors comme il est le néant, il s'anéantira lui-même.

Je ne m'appesantirai pas plus sur la vision d'Isaïe, car le sujet est vaste, et je ne suis pas sûr d'avoir les connaissances nécessaires pour en donner une bonne analyse. Mais l'essentiel dans cette approche du dualisme est de comprendre que dans la philosophie cathare le mal ne peut se manifester que dans le mélange qu'il pratique avec le bien.

Si l'on cherche dans les écrits cathares une définition exacte du mal, on n'en trouve aucune. On a seulement quelques définitions obscures extraites des textes sacrés telles que, je cite pour exemple "le mal est un principe en mouvement" ou bien "il est et il n'est pas". Rien de bien clair hélas.

Faute de le définir, les cathares pensaient que tout ce qui était Céleste et Eternel était du principe Divin, et que tout ce qui était transitoire, temporel était du principe malin. En fait s'ils n'ont jamais voulu définir explicitement le mal, l'évolution de la pensée dualiste va tenter de l'assimiler le plus possible au néant. 


Car le néant ne fait pas partie de la création, la vision d'Isaïe montre que tout est issu de Dieu, le néant n'a pas sa place dans cette conception.

En fait tous les mots employés pour désigner le mal, ne désignent que ses manifestations.

Jean de Lugio disait, parlant du supplice, de l'angoisse du bûcher et du Diable, lui-même : " que ces choses soient les noms dont on désigne ses effets, elles témoignent de toute façon de l'existence d'une cause unique du mal, éternelle, sempiternelle ou antique, car si l'effet est éternel, sempiternel et antique, il faut que la cause le soit aussi."

On remarque les différences fondamentales que Jean de Lugio faisait entre le mal et ses manifestations. Il y a d'ailleurs trop de création dans Satan, pour qu'il puisse être le principe du mal, il ne peut en être qu'un effet.

Toute l'analyse cathare va tendre vers ce but, assimiler le mal à la négation, au néant, au non existant. En opposition d'ailleurs à l'ancien manichéisme qui faisait du mal un principe existant à côté du bien.

Les cathares avaient une traduction personnelle du verset 3 du chapitre 1 de l'Evangile de Jean : "Sans lui rien n'a été fait", qu'ils traduisaient par "Et c'est sans lui qu'a été fait ce qui n'est que le néant".

Et c'est pour cela que devant les inquisiteurs, les cathares n'hésitaient pas à soutenir que ce monde visible était fait de néant, c'est à dire, illusoire, mensonger, et tout à fait en dehors de la substance divine. L'argument le plus invoqué par les cathares et leur explication du temps qui plus encore que la matière est le milieu anéanti où se situe les apparences et les illusions. Le dualisme cathare est un dualisme temps éternité autant qu'un dualisme Etre, Néant.

La première question que les inquisiteurs posaient durant leurs interrogatoires était :" croyez vous en Dieu créateur du ciel et de la terre" .

La réponse était suffisante pour savoir si l'interrogé était ou non un hérétique.

Ce qui caractérise ce principe mauvais, c'est qu'il est dans un principe temporel fini et donc, qu'il s'achèvera un jour.

Existait-il un moyen de combattre le mal ?
Oui, si l'on revient à l'étude de la vision d'Isaïe. Les 5 premiers cieux sont corrompus et rongés par le néant, quant au 6ème et 7ème Cieux, ils sont séparés des autres, isolés du mélange par la puissance de la bonté infini de Dieu.

L'explication est simple, elle vise à montrer ce qui est possible dans le monde du mélange, et ce qui ne l'est pas. Il fallait donc travailler sans relâche à rechercher la perfection, à se détacher de la matière, seule façon d'espérer un jour se fondre dans l'éternelle bonté du 7ème ciel.

Les cathares étaient des dualistes car ils croyaient à l'existence d'un principe mauvais, actif dans le monde du mélange et du temporel. Mais ils avaient pleinement le droit de dire qu'ils ne reconnaissaient qu'un seul Dieu éternel et bon, et ce n'était pas Satan qui s'opposait à Dieu mais le néant.

Satan et Jésus Christ étaient les 2 personnages que les cathares mettaient en opposition.

L'un était l'être à peine existant, habité par le néant, l'autre le fils de Dieu, la créature parfaite sur laquelle le mal n'a aucune prise.

J'ai dit.

Georges Scopsi, 5ème Ordre
Souv.·. Chap.·.  Pax Vovis  

No hay comentarios:

Publicar un comentario