En Franc-Maçonnerie toutes les idées ne se valent pas

 Une étude de cas et un débat sur les limites de la tolérance par le Conseil au 4ème Ordre du Souverain Chapitre Français « La Rose-Croix du Léman » (Supême Conseil du Rite Moderne pour la Suisse).

“Der Unterricht faellt aus”, Almuth Märker/ jfmueller 2021 kek-spk.de

L’étude et la conservation des rituels maçonniques est un des objets des Ordres de Sagesse ou de perfectionnement de la FM.

En cette occasion, l’Orateur a présenté une planche intitulée « En Franc-Maçonnerie toutes les idées ne se valent pas » qui met en discussion les propositions de corriger le texte d’un rituel qui semble contenir une erreur. Ceci en guise d’étude de cas réel mis en discussion par le Souverain Chapitre Français « La Rose-Croix du Léman ». C’est un exemple d’approfondissement des rituels maçonniques dans un environnement adéquat. Le débat - résumé en deuxième partie de ce texte - qui a suivi la planche a fait ressortir des réflexions plus profondes et bien au-delà de l’étude du cas présenté.*

En 2014, durant une initiation, j’ai été choqué de découvrir des « versets sataniques » dans un passage du Rituel d’initiation au Rite Français d’une RL de la FM libérale, là où le VM explique au futur initié ce qu’il doit attendre de la Franc-maçonnerie. La promesse – c.à.d. le contrat moral proposé à l’impétrant – devenait : « Toutes les idées philosophiques, politiques, sociales ou autres sont égales à nos yeux..[1]» Une telle formulation m’a semblé irréfléchie et potentiellement contraire à nos idéaux.

À l’époque j’ai requis et obtenu l’élimination du passage en cause malgré la réticence de corriger un rituel qu’on a entendu et dit tant de fois, au point de ne plus se rendre compte du sens des mots et nonobstant le doute  : « Qui sommes-nous après tout pour toucher au rituel ? ». Je n’ai pas demandé un vote dans la Chambre du Milieu, car les principes fondateurs de la FM ne me semblent pas un sujet de vote occasionnel. J’ai seulement sollicité l’Orateur à assurer la conformité à l’esprit de l’Ordre et ma demande raisonnée a été appliquée. Malheureusement, récemment, en 2023, un nouveau VM de la même RL, sans mémoire des décennies passées, a repris une vieille copie du rituel avec la même erreur… et tout recommence… Avons-nous besoin de rituels de référence et d’une règle plus formelle pour leur correction ?

Repin Ilya, Quelle liberté?

Si nous sommes « Hommes Bons et Honnêtes ou Hommes d'Honneur et de Probité », (1723) enfin, Maçons « Modernes » de Rite Français, nous défendons la liberté de croyance, de conviction, voire d’expression. Est-ce que cela signifie que toutes les opinions se valent pour nous et que notre tolérance doit ou peut s’en accommoder, jusqu’à y inclure l’intolérance ou l’anti-humanisme ?
En notre désir de tolérance, est-il possible de réunir les bonnes volontés de ce monde en ouvrant la porte à l’affirmation illimitée, libre et sans responsabilité, de tout ce que l’etre humain est capable de croire, concevoir et dire? Ou y-a-t-il plutôt pour le Maçon des limites inadmissibles à franchir, des valeurs que nous ne partageons pas et des choix que nous rejetons ? Le sujet semble d’actualité car, par-delà les anciennes guerres de religion, barbaries, fanatismes, racismes et exclusions, contre lesquelles la Franc-maçonnerie œuvre traditionnellement, de nouvelles menaces totalitaires et anti-humanistes se présentent à l’horizon… Comme disait un des FF : «  il reste quelque 28 démocraties sur la planète, il faut défendre la nôtre. »

La démocratie et la tyrannie ne se valent pas pour la Franc-maçonnerie. Ni nos idées et valeurs fondatrices avec leur contraire. Ce que nous croyons de la fraternité, de la civilisation et du progrès, est stable en notre époque et ne s’accorde pas avec la barbarie et le règne de la Bête. Ni la dignité humaine avec la déshumanisation. Tout en respectant le droit de croire et penser librement et autrement, il me semble vital que nous rejetions l'indolence relativiste qui capitule, au nom de la pluralité et de l’harmonie, au point de trahir sa responsabilité morale et citoyenne. Maçons en chair et en os, nous vivons dans des pays et des cultures où les valeurs sont compréhensibles et nos choix responsables. Vivant ici et dans notre époque, nous mettons en exergue les hautes valeurs morales maçonniques qui réunissent et nous rejetons les exclusives qui divisent. En apprenant à nous connaître, à nous élever spirituellement et à respecter la diversité dans notre Ordre, nous construisons - par notre nature - la démocratie.

Comment glisse-t-on vers cette erreur de tolérance?

Une question inévitable est pour commencer, la définition pratique de la tolérance. Cette question a été mise en évidence par les prises de parole sur les colonnes. Avons-nous utilisé ce mot trop souvent, jusqu’à galvauder son sens, qui est – dans les mots les plus simples – apprendre à vivre avec l’autre ?

Les Francs-Maçons, surtout ceux qui se déclarent libéraux, voire «a-dogmatiques», sont fermement attachés à la liberté individuelle de croire et de penser. Le Rite Français, tel je l’ai connu, tout particulièrement. Il est le plus Andersonien (1723) des rites, le plus ouvert, passionné à réunir ce qui est épars, c’est à dire différent. Ceci requiert, au lieu de nous juger réciproquement, une tolérance sans ambiguïté, respectueuse plutôt que condescendante ou accordée du bout des lèvres. Nous ne manquons de rappeler aux grades symboliques nos principes capitaux : « la TOLÉRANCE MUTUELLE, le RESPECT des AUTRES et de SOI-MÊME, la LIBERTÉ ABSOLUE de CONSCIENCE » Tôt ou tard, les « bleus » acclament « Liberté ! Égalité ! Fraternité !», au risque d’être pris pour la République Française. La Laïcité aussi, proprement entendue, est coexistence inclusive et mutuellement respectueuse, qui sépare son fonctionnement démocratique et fraternel de la diversité des croyances et convictions parfois irréductibles, toutes libres, qu’elle accueille, cœur de notre vie en Loge.

Cette notion de liberté sans faille, si souvent affirmée en Loge, c’est élevée au-dessus de tout soupçon, elle est devenue indiscutable et absolue, politiquement correcte, elle va de soi ; par la suite, nous avons tendance à considérer tout naturellement que rien n’est interdit, en conscience, en opinion, en conviction, en croyance ou non croyance, qu’il est interdit d’interdire et que notre devoir idéal est la tolérance absolue.

Nous sommes attachés à croire et pratiquer – tout aussi naturellement – que le pas suivant, la liberté d’expression doit être aussi sans limites dans ce lieu précieux de liberté qui reste encore la Loge Maçonnique; nous nous levons indignés, comme Voltaire, quand on met le poing dans la bouche des gens et on assassine pour censurer, sous quelque prétexte que ce soit.

Engagés sur cette voie, en arrivant enfin à la liberté de faire, d’agir, nous l’imaginons tout aussi vaste, prométhéenne, synonyme du Progrès, malgré l’intuition qu’il doit y avoir, en guise de frontières, des politesses, du cœur, des règles et des lois, des choses à respecter, à ne pas faire, en Loge et dans le monde profane.

Parce qu’une de nos valeurs fondamentales est l’égalité, notre tendance indiscutable est de considérer tous les Frères et Sœurs, et par extension tous, égaux en dignité et en droits; pas seulement tous les gens mais, j’ose dire que nous nous laissons aller, sans trop y réfléchir, à concéder, impartiaux et tolérants, que toutes les idées sont égales pour nous. Que les dissensions ne viennent pas de nous, mais des métaux du monde profane.

 
Tiens ! Toutes les idées se valent-elles pour nous ? Pour garantir la liberté et en même temps sauver l’harmonie, peut-on débattre de tous les sujets et dire en Loge tout ce qu’on veut? Pourquoi alors disons-nous à l’occasion qu’il n’est pas admis de discuter ni de délibérer de religion et de politique sur les colonnes ? De plus, n’est-il pas le cas que nous avons des conditions et préférences exigeantes pour accepter les nouveaux apprentis ? N’est-il pas vrai qu’en écoutant certaines enquêtes et certains propos notre boule sera noire ? Ne travaillons-nous pas précisément pour nos idéaux humanistes et contre leur opposé ? Ne rejetons nous pas les dogmes exclusifs ?


En fait, tant l'idéal absolu, qui cesse d’etre humain que le relativisme sans échine sont des pentes glissantes.

*
Par bon sens, par expérience et surtout par la raison qui nous est si chère, nous savons, il me semble, que toutes les idées ne se valent pas; ni dans la réalité du monde, ni pour nous en tant que Francs-Maçons, ni surtout dans l’esprit et la lettre de notre Rite. De nombreux exemples confirment cette simple vérité.

Au tribunal toujours plus exigeant de la science et de la raison, les idées ne sont pas égales en leur vérité de fait, objective :

L'idée que la Terre est plate et immobile au centre des cieux n'est pas égale en vérité avec l'idée que notre planète est sphérique et qu’elle tourne parmi d'autres du système solaire.


Sans multiplier les exemples évidents, disons qu’une idée fausse n’a pas la même valeur, n’est pas la même chose, qu’une idée vraie, prouvée… et « notre objet est le recherche de la vérité ».

Au tribunal de la morale et des droits de l'Homme, les idées ne sont surtout pas égales en valeur morale, et ceci nous regarde directement:

Notre idée fondatrice, que la F:.M:. est le centre de l'union - des hautes valeurs morales et pas des plus basses - les bonnes volontés et pas les mauvaises, est une idée qui ne vaut pas l'idée opposée d’exclusion, celle par exemple que l'étranger, une autre race, une autre religion, une autre conviction sur ce qui est le vrai et le réel, sont inférieures, dignes de mépris, de domination et d’assassinat.

Nous n'avons pas vocation d'imposer aux gens comment ils doivent penser et opiner mais, de même, nous ne permettons pas qu'on nous assène des points de vue qui contrarient notre raison d'être : construire des ponts, pas des murs.

Pour les nommer, les idées du totalitarisme, qu’il soit fasciste, théocratique ou communiste, l’esclavage modernisé, le fanatisme monomaniaque, les idées de suprématie des races et des doctrines politiques, le culte de la violence et de la guerre, le nettoyage ethnique ou idéologique, le génocide, l’eugénisme, sont pour nous des objets à étudier et à bien comprendre mais aussi des ennemis et des objets de rejet.


Par exemple, les Constitutions d’Anderson, la déclaration des Droits de l’Homme, celle rédigée par la main du F :. Lafayette le 11 juillet 1791, porteuse des hautes valeurs morales de l’époque moderne, à laquelle nous sommes attachés sans réserve, n’est pas équivalente aux idées de Mein Kampf ni à celles du petit livre rouge de Mao. Si les livres des grandes religions sont tous respectables pour nous, les torchons des sectes manipulatrices et vendeuses de confusion ne nous semblent pas équivalents. On ne colle pas notre équerre et notre compas sur n’importe quoi.


« Liberté, égalité, fraternité » n'est pas la même chose que la survie et la loi du plus fort, la vérité unique obligatoire, le gouvernement totalitaire, par la contrainte et les théories paranoïaques de la conspiration universelle. J’ose dire que le gouvernement universel du gain et de l’argent nous semble également suspect. Pire encore promet d’etre le règne de la Machine et de l’Intelligence Artificielle !


Esprit ouvert, écoute, liberté de pensée, de conscience et d'expression, d’examen, de critique, oui ; licence de détruire cette même liberté et ce qui la garantit, non ! Quelle effronterie d’attaquer la liberté au nom de la liberté et la démocratie en abusant de la démocratie! Nous rejetons résolument les exclusives militantes qui transforment le temple en place publique.. La tolérance n’a aucune obligation de tolérer l’intolérance; l’humanisme, notre foi, ou, si vous préférez, notre conviction profonde, a le devoir de rejeter et de combattre l’anti-humanisme, la haine de l’homme, la barbarie anti-culturelle.


Nous respectons entièrement la liberté de pensée et de conscience, voire de l’imagination et de l’esprit critique. Chacun y a droit dans sa sphère privée. Toutes les idées, même les plus terribles, les songes les plus horribles, ont droit de se présenter à nos esprits. Rien ne doit nous empêcher de considérer une idée, soit-elle la plus contrariante. En Loge je crois qu’il ne devrait pas exister de sujet, d’idée, qu’on ne puisse pas examiner avec sérénité et sans complaisance. Pourtant, notre discussion est au service d’une morale partagée, ici et maintenant, en notre propre civilisation; pour discerner, pour différencier le bien du mal, afin de vaincre le mal; pour différencier le vrai du faux, pour rejeter le faux et promouvoir le vrai. La morale est bien cela, juger la valeur des idées et des faits. Sans discernement de valeur entre les idées il n'y a pas de morale.


Ceci ne nous épargne pourtant pas la responsabilité morale et l'examen critique pour les idées que nous adoptons et faisons nôtres pour les professer et propager. Surtout, nous devons rendre compte des actes qui découlent de nos idées. L’adhésion aux idées est un choix responsable: à minuit, en partant, on est ce qu'on embrasse et ce qu'on en fait.


La séparation des sphères privées et publiques, la laïcité – constitutionnelle à Genève et implicite ailleurs en Suisse - assure et même encourage la liberté de croyance tant qu’elle ne cherche pas s’imposer à autrui. Ceci est une idée qui permet la tolérance de l’altérité, mais qui oblige en échange au respect mutuel. Le fanatisme dévot, le prosélytisme fumeux ou intolérant et l’agression de l’athée stupide contre la croyance d’autrui (ou l'inverse) sont des idées contraires à ce choix et, parfois, aux lois ; elles n’ont pas droit de cité parmi nous.

Notre liberté d'expression est certes plus grande que dans le monde profane, limitée pourtant par la politesse et le respect dû à la dignité et les convictions de nos frères. Tolérance est parfois souffrir ce que nous ne croyons pas et ce que nous n’aimons pas, sans abdiquer à nos propres certitudes. Notre maîtrise de savoir le faire avec respect authentique est à mon avis un exemple potentiel de civilisation pour la société autour de nous.


Ceux qui nous rejoignent le font parce qu'ils adhérent librement à notre choix de valeurs, celles que nous ne voulons pas relativiser; ceux qui choisissent des idées incompatibles avec nos idéaux ne peuvent pas devenir des nôtres, avec tout notre respect pour la différence, la pluralité, la démocratie et la liberté de conscience ; la Bête n’a pas de place sur nos colonnes, ni licence de recruter parmi nous.


La F:.M:. est définie et unie par son choix durable d'idées, qui affirment ses valeurs, ses buts, ses méthodes et aussi par ses adversaires désignés, ce qu'elle rejette, ce qu’elle veut vaincre et éliminer de la société humaine ; certains de ces ennemis sont des idées de proie, néfastes pour nous – les idées ouvertement contraires à nos idéaux fondateurs, qui nient et transgressent nos limites de tolérance.


Cette censure est légitime et vitale; nos pires ennemis nous accusent faussement, avec effronterie et mauvaise foi, d'être nihilistes, relativistes en morale et athées stupides, incapables de discernement moral, cyniques, incapables d’affirmer une vérité et de la défendre; la pire des choses serait de confirmer ces calomnies en affirmant imprudemment que toutes les idées se valent pour nous, de tout laisser passer, avec une indolence politiquement-correcte, sous prétexte mal compris, boiteux, de liberté absolue de pensée et d’expression.

Pour prévenir l’évolution d’une F :.M :. flageolante, sans colonne vertébrale, je propose que toutes les idées philosophiques, politiques, sociales ou autres ne soient pas égales à nos yeux, même si nous sommes libres de les examiner toutes, ensemble.

Qu’en pensez-vous, mes SS, mes FF ?

Ioan Tenner

Débat du Conseil au 4ème Ordre du Souverain Chapitre Français « La Rose-Croix du Léman » (SCRMS).

L’anecdote du passage « satanique » et la critique de la tolérance sans limites a soulevé nombre de questions et commentaires des membres du Conseil au 4ème Ordre du Souverain Chapitre Français « La Rose-Croix du Léman » (SCRMS)

Built from questions www.baba-mail.co.il 2016

Nous avons choisi de réfléchir et de discuter le sujet au lieu d’en délibérer. En lieu d’une conclusion d’autorité, nous soumettons ici à la sagacité des lecteurs, les interrogations et les contributions qui enrichissent l’analyse.

Le premier seuil à franchir dans cette discussion, et pas le moindre, a été et reste, bien entendu, « Peut-on toucher au rituel quand on y découvre quelque erreur flagrante ? » Tout d’abord, qui est en mesure d’évaluer notre rituel et encore plus, qui sommes-nous pour juger de sujets et en marge, de profanes qui nous approchent, comme acceptables ou non pour la Loge ?

Il a été rappelé l’adage que les discussions en Loge ne seraient pas admises concernant la politique et la religion. Ceci nous a permis de préciser que, en fait, tout sujet peut etre présenté à notre réflexion collective pourvu qu’on n’en dispute pas et on ne procède pas au vote sur de tels sujet, ni surtout aux consignes de vote des Maçons pour des partis politiques.

Quand il s’agit de ne pas accepter des impétrants et leurs convictions, il est aussi difficile de juger les gens qui nous approchent et décider s’ils sont assez bons pour nous. Pourtant, les enquêtes concernant les profanes peuvent etre vues comme des jugements. Les enquêteurs sont faillibles, sans douter mais que faire d’autre que son mieux, en conscience et bonne foi ?

POUR ETRE VIABLE, LA TOLERANCE LA PLUS OUVERTE DOIT AVOIR UN CONTOUR ET DES BORNES

Accurata Utopiae Tabula, J B Homann. Lib of Congress.gov

Il apparait que plus en profondeur, le problème qui se pose ici est celui de la tolérance. C’est quoi etre tolérant ? Ce mot est parfois ambigu : tolérer serait ce déjà se donner le droit de juger et accorder sa tolérance? La richesse de la FM n’est pas dans sa diversité réelle ? Y a-t-il risque de rejeter ce qu’on ne comprend pas ?

On peut encore parler en Loge de tous les sujets. Mais il ne reste plus que 28 démocraties dans le Monde, « nous sommes le dernier endroit où je peux m’exprimer comme j’ai envie, dire absolument ce que je veux, sans avoir peur pour les lendemains » dit un Frère. Le tout est de savoir à quel niveau et si on va ou non véhiculer tout ceci à l’extérieur du Temple.

Il faut mieux comprendre le mot tolérance, il veut dire qu’il faut apprendre à vivre avec l’autre.

 

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Il ne faut pas toujours juger par rapport à notre propre vécu. Les gens ont des vécus et des points de vue très différents. Attention à ne pas rejeter l’autre par rapport à notre propre dogme individuel, voire collectif. Il est légitime pourtant de confronter et critiquer ce qui n’est pas bien, ce qui est n’importe quoi, ce qui est faux.

On voit combien il est compliqué de tirer des conclusions quand il faut tout d’abord nous poser des questions. Peut etre le problème n’est pas dans le mot « tolérance » mais dans l’erreur de le laisser seul, orphelin des autre valeurs que nous pratiquons. Il y a devant nous un travail de bon sens pour établir plus clairement ce que nous entendons et pratiquons en tant que tolérance en Loge, et aussi -en tant que maçons – en dehors de la Loge. Pour nous orienter, en entrent en FM nous avons fait des promesses de vivre d’une certaine manière et de juger suivant certaines valeurs. Nous avons un devoir de ne pas admettre certaines choses, même dans la rue. Ceci en toute humilité et conscience de nos limites.

Dans cette réflexion il y a aussi un problème de langue française; les mots sont parfois ambigus. Un écrivain catholique disait « La tolérance, il y a des maisons pour ça. » Il parlait de la tolérance dans un autre sens. C’est la même chose que pour le mot aimer : « j’aime ma soupe » n’est pas la même chose que « j’aime ma femme, ou ma maitresse ou mes amis ». En parlant de valeurs, il faut toujours se rappeler cette imprécision. Parlant de valeurs, y a des valeurs en bourse aussi, il est vrai, mais ce n’est pas des mêmes valeurs qu’on parle. Prenons nos trois valeurs, foi, espérance et charité. À ce niveau, nous sommes censés savoir ce que cela signifie pour nous. Nous sommes censés pratiquer ces trois valeurs. Par exemple, le mot charité dit en général donner son obole pour le soutien des pauvres. En latin ça veut dire estime et amour fraternel. Le sens n’est pas matériel. Nous oublions souvent que nous sommes dans un milieu symbolique ou il ne faut pas prendre les choses à la lettre au sens matériel.

Comme disait Raymond Devos, l’esprit est comme un parachute qui ne fonctionne bien que s’il est ouvert. Parlant d’interdictions, un Frère exclame : « quand j’entends la réaction si en loge bleue on évoque le fantôme du Maréchal Pétain il y a tout de suite interdiction, on oublie que même si dictateur, Franco fut en Espagne l’inventeur de la sécurité sociale ou que le Maréchal Pétain avec tous ses torts fut le créateur de la Fête des Mères. Il faut employer des pincettes en disant ceci, faire la part des choses. Est-ce que Pétain était un diable à cent pour cent ? » Il est très complique d’apporter des réponses si nuancées dans le monde profane. Il faut manier la tolérance avec des pincettes, voir avec qui on parle. Dans le domaine religieux il y a de l’hypocrisie notoire, car il y a des Loges ou « on ne parle pas de religion » mais on propose de supprimer les croix dans les villages et éliminer le mot « saint » - Gare Lazare au lieu de St Lazare…

Là où le  politiquement correct est de rigueur, il faut faire très attention aux mots. Mais jamais juger sans discernement, en oubliant que rien n’est entièrement blanc ou entièrement noir.

Y a-t-il des questions inacceptables ?

On voit bien pourquoi nous ne devons pas disputer entre les réponses des présents, mais plutôt sélectionner les bonnes questions. Le problème est quand on débat de réponses qui semblent les meilleures, à des questions qu’on ne connait pas, qu’on n’a pas étudiées. Les questions et les concepts sont des outils. Sélectionner, interdire des questions c’est censurer les outils avec lesquels on réfléchit. Quand on arrête celui qui pose des questions intéressantes ce n’est plus la démocratie, c’est la foule… Sélectionnons des concepts et discutons des questions. À chaque question il y a des centaines de réponses…

Un souvenir personnel : « Enseignant à la retraite, toute ma vie j’ai eu devant moi des gens qui voulaient des réponses. Mais en enseignant, je leur disais « je ne suis pas là pour donner les réponses, je suis là pour vous apprendre à poser les bonnes questions. Si vous avez les bonnes questions vous avez la réponse, ou du moins un début de réponse. Un jour, me suis rendu compte que cette méthode ne fonctionne pas avec le étudiants japonais. J’ai posé la question à une amie , assistante de Piaget, pour comprendre ce qui se passait. Pourquoi il est impossible de savoir ce que pensent les étudiants japonais ; soit ils pensent ce que le gouvernement leur dit de penser, soit ils me demandent ce que moi je pense. Mais je n’avais pas besoin qu’ils me disent ce que je pensais. J’étais désespéré, ça ne marche pas du tout avec les Japonais. L’assistante de Piaget m’a expliqué que c’est normal, leur société fonctionne comme ça. Il y a beaucoup de monde dans cette société-là. S’ils ne fonctionnent pas comme ça ils s’entretuent… Étant un blanc européen avec une formation gréco-romaine, je sais donc quelle est la différence entre le demos et laos (le peuple) je sais fonctionner en tenant compte de ça. Ils ont une autre religion, une autre formation… j’étais désespéré. Une Japonaise qui a passé toute sa vie à l’étranger, mais qui devait rentrer chez elle au Japon parce que gravement malade m’a avoué qu’elle ne pourrait plus vivre là-bas…. La manière dont nous interagissons avec les autres dépend de qui nous sommes et qui sont les autres…

Ainsi, même à la première question en discussion– « Est-ce que toutes les idées se valent pour nous ? » - reste une question à laquelle chacun de nous doit apporter sa propre réponse. … Quels sont les environnements et les niveaux où il faut faire une différence, discerner ce qui est adéquat et ce qui ne l’est pas ? L’occasion diffère évidemment entre le temple et la place publique. Dans le temple aussi, il y a différence entre le discours ésotérique et exotérique. Vu de très haute sagesse, tout est symbole et tout devient semblable intellectuellement, mais dans la vie profane – et même dans la loge bleue – on ne peut pas mêler les deux. Et dans les Ordres de Sagesse qu’y a-t-il de permis et d’interdit ? Ou alors la question ne se pose plus ?

Ce sont des questions radicales qu’on ne doit pas avoir peur de poser. C’est des réponses tranchantes qu’on doit se méfier.

Il y a un problème avec ce qui est permis et interdit Qu’est ce qui est permis, qu’est ce qui est interdit ?

Un arc en ciel de nuances

Nous sommes censés travailler au progrès de l’Humanité. Si on travaille au progrès de l’Humanité il est bien entendu que toutes les idées ne se valent pas. En partant de là, des choses deviennent assez claires, qui vont de soi, et d’autres qui sont dans une zone grise, enfin d’autres sont totalement négatives. Les fous de guerre qui nous entourent à présent sont un exemple… Concernant le progrès de l’humanité, on peut avoir une discussion sur le plan purement matériel, par exemple qu’est-ce qu’on fait avec l’énergie atomique, mais qu’est ce qui est permis, si les avancées vont procurer du bien etre ? L’interdit d’aujourd’hui est peut-être le permis de demain et l’inverse. Mais à partir de telles questions on peut déjà élaborer une méthodologie.

 

Est-ce qu’on peut toucher à un rituel quand de toute apparence et en tout bon sens, à notre époque, il est erroné et nuisible à nos aspirations ? En quel sens les rituels sont-ils sacrés ? En fin de compte ce n’est pas par la main de Dieu qu’ils ont été écrits et ce n’est pas Dieu qui les a dictés à ses  prophètes. Parfois, quelqu’un semble avoir mal copié ou tronqué un texte en produisant des « versets sataniques » irréfléchis. On les a répétés tant de fois qu’on ne les entend plus. Mais un jour, on se réveille et on se dit : « Mais qu’est-ce que suis en train de dire là ? Ou plutôt, qu’est-ce que le Vénérable est en train de dire ?» En essence, quel est le for maçonnique en droit de se saisir d’une telle situation ? Est-ce que discuter un tel sujet est le rôle des « Hauts Grades », pourtant si clairement séparés des Loges bleues ?

Nous pouvons réfléchir et donner notre avis. Pourtant les changements peuvent seulement se faire au niveau de Loges et des Obédiences, qui sont souveraines.

Toutes les personnes présentes dans ce Conseil sont au Ve Ordre, dont l’objectif ultime est l’étude des rituels, de tous les rituels. Non pas pour les changer mais pour voir comment ils sont faits et qu’est-ce qu’ils véhiculent. Ceci est l’attitude que nous devons garder. Regarder le rituel, voir s’il a été modifié, ou, sinon, comment pensaient, faisaient et disaient le gens à cette époque-là. En historien je respecte toutes les opinions, y compris les miennes, mais je respecte tous les textes à condition qu’ils ne soient pas trafiqués. C’est pour cette raison par exemple que nous pratiquons ici un rituel avec un texte de l’époque. Le texte dont nous discutons a été revu et revu . Les textes du GODF d’aujourd’hui font un rituel de Rose-Croix sans la croix....La croix dérangeait-elle certaines personnes ? Ils l’ont enlevée du texte et même de l’iconographie. Il n’y a plus de Saint Bernard. De la Rose-Croix ne reste que la rose… Mais ceci est une évolution du politiquement correct actuel. Nous pratiquons un rituel sans porter de jugement sur ce rituel, comme il est. Cela gêne parfois certains de retrouver la croix. Mais comme j’ai entendu dire quelqu’un, « Mon cher Frère, on parle beaucoup de tolérance, qui est plus tolérant entre toi et moi ? Tu veux que j’enlevé de mon rituel le Grand Architecte de l’Univers. Je me demande pourquoi il faut l’imaginer te telle ou telle façon. Chacun est libre d’imaginer ce symbole de telle ou telle autre façon. »  On ne prend pas les symboles au pied de la lettre. Je pense que le seul critère que nous devons avoir pour porter nos jugements sans se sentir obligés de dire « Qui suis-je pour porter un jugement ? » est le suivant : est-ce que cette personne est capable de raisonner par symboles ? ou prend-elle les choses au pied de la lettre ? C’était un critère d’admission dans la maçonnerie française. À l’époque de Pythagore la question qui était posée à celui qui demandait à etre admis apprenti au temple était très simple. On lui montrait un triangle pour savoir ce que cela lui rappelait. S’il disait que c’est un triangle on le rejetait… La personne qui ne savait voir la pyramide derrière le triangle ou la sphère derrière un cercle ne savait pas raisonner par symboles, mais prenait les choses au pied de la lettre. Donc, elle n’était pas prête à être admise. Au fonds nous devons poser les mêmes questions, sans porter de jugement. Chez nous il faut une ouverture d’esprit qui voit au-delà de la lettre des choses.

Pour apprécier le symboles d’un rituel il faut savoir ce qu’il véhicule. En reprenant l’idée de l’Orateur Il y a des choses dont on dit « c’est comme ça », qu’on ne change pas, mais pourquoi pas avoir des commissions pour revoir des choses après 50 ans ? On peut revoir avec le changement des époques si tel aspect est encore applicable dans notre temps. Au niveau des « hauts grades » on pourrait faire au moins ce travail – non pas celui de remettre en cause mais de revoir si tout est encore actuel dans nos textes.

Nous voici un peu gênés parce que nous mettons des idées sur la table. Mais ces idées sont justement des questions. Un symbole chinois peut dire une chose et son contraire, crise mais aussi opportunité. C’est l’expérience qui donne sens aux mots et les expériences sont différentes entre nous et d’une époque à l’autre. Ceci se comprend. Faut-il pourtant sélectionner les questions ? Finalement, discutons ensemble pour avancer des propositions. D’un ensemble de questions retenons la principal. Finalement en toute société il peut venir un moment où quelqu’un doit soulever des questions qui intéressent tous… Car au final un rituel est constant, en étant une synthèse des symboles d’histoire sur la longue durée.

D’autre part il est dangereux de devoir corriger les rituels. Il faut d’abord comprendre qu’un rituel est le fruit d’une certaine époque, qu’il utilise une certaine langue. Un mot comme crise vient du grec médical, pour décrire un moment précis de l’évolution de la maladie, le moment du pire, après quoi on va guérir. Aujourd’hui on parle de crise de tout, en oubliant que c’est par là qu’on en sort. Sans crise on ne s’en sort pas…

Cette étude n’est pas en fait à proprement dire une d’évaluation d’idées, mais une démarche de rectification de mots et de valeurs y attachés. On peut faire dire aux mots presque n’importe quoi, tout embrouiller, au point où la complexité invite à périr plutôt qu’à vivre. Mais pour vivre, il faut comprendre et réagir aux mots. Le but initial de cette étude a été pratique, de corriger les « versets sataniques » d’un rituel. Ceci a été fait en son temps. Est-ce que ceci était juste ? Peut-être, en partie. Il faut penser mille fois à ce genre de changement. Notre réflexion ultérieure, posée, n’est pas pour exprimer ou étayer une opinion mais pour exercer – en toute liberté et sans contrainte - notre sens critique.. Bien entendu, les « Hauts Grades » ne doivent surtout pas s’ériger en for de censure, ce n’est pas notre rôle. Par contre les fruits de nos réflexions – nos questions -devraient permettre à nos FF et SS de décider en connaissance ce qu’ils veulent faire. Car les idées sont puissantes, elles changent le monde. 

Notre accord unanime lors de cette discussion libre et sereine, a été que, finalement, les questions soulevées ont plus de valeur que les propositions du cas de départ et les réponses de chacun, car les questions ouvrent autant de portes parmi lesquelles le lecteur voudra choisir à sa manière, tandis que nos réponses peuvent fermer des portes et figer la réflexion. 

Une multitude de portes... cecglob.com 2016

Après l’écoute de la planche de départ et des contributions concernant le dangers et complexités – un vrai catalogue, on peut conclure que, effectivement, on a tous été d’accord que toutes les paroles et les actes ne sont pas acceptables. Sur la base d’un idéal comme « liberté, égalité, fraternité » on peut contribuer à ce que les choses se passent pour le mieux dans ce monde, mais si on acceptait tout, sans bornes, on ne sait plus ce qu’on chercherait en Maçonnerie. La liberté la plus grande, la tolérance la plus ouverte, ont besoin d’avoir une forme, un territoire une langue, avec des repères et des bornes reconnaissables, sous peine de se dissoudre dans l’infini, ou pire dans l’hypocrisie du politiquement correcte.


[1] Un texte d’origine (Rituel Français GODF), stipulait: « Toutes les idées philosophiques, politiques, sociales ou autres sont égales à nos yeux tant que, bien sûr, la dignité de l’homme y est respectée. Si des exclusives existent, elles ne viennent pas de nous, mais du monde profane»

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