Croire ou respecter: un debat sur la perenité de nos rites et symboles

Réflexions en marge des travaux du Conseil du S. Chapitre «La Rose-Croix du Léman» de Genève le 30 mai 2024 et de la rencontre à Bruxelles avec le S. Chapitre     « Les Chevaliers de la Lumière » de Mons le 15 juin 2024



On est parti dans nos vallées d’une question concrète « Que faire avec la devise VAM, le décor poignard, le choix « vengeance ou justice » dans l’interprétation du rituel du Ier (Élu secret) des Hauts Grades du RF Moderne ? »  

Une étude de départ sur l’histoire des décors et devises du Ier Gr :. Du RFM, par le F:. Jean van Win [i], a occasionné un riche échange de vues, expériences et considérations, dans nos travaux à Genève et au Conseil commun avec nos FF et SS de Mons, à Bruxelles au mois de juin. Au fil des échanges, la recherche c’est enrichie d’un apport substantiel d’expériences personnelles des participants et des analyses de notre TS :. (et S:.G:.C:.) Fabrizio. Une péripétie passionnante, parsemée de questions plutôt que de réponses : 

Ces échanges nous ont porté vers des réflexions plus profondes pour l’étude des rituels et l’interprétation de nos symboles, en incluant leur pérennité historique.

Bien entendu, notre travail ne se donne pas autorité de délibérer ou décréter ce qu'on doit penser ou croire, nous nous devons plutôt de mieux comprendre ce nous exprimons dans nos rituels.

L'homme libre sait ce qu'il fait et fait ce qu'il sait.

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L’étude du document cité, signe par le F:. Jean van Win, concernant la bien connue devise du Premier Ordre de Sagesse et le rappel historique du rituel résumé par le TSPM ont occasionné un plein d’échanges et d’interrogations, dans les deux assemblées. Nous retenons une brève synthèse des pensées et des questions susceptibles d’intéresser et de continuer la réflexion des Chapitres suisse et belge du Suprême Conseil du Rite Moderne pour la Suisse :

Il s’agit du mythe fondateur : après le meurtre de Maître Hiram par trois mauvais compagnons, le légendaire Roi Salomon envoie des Maîtres Maçons pour attraper les coupables et punir le crime à la manière de l’époque biblique. Les participants aux Conseils des Élus ont suivi les évolutions du rituel du Ier Ordre du RFM en fonction des temps historiques, mais aussi les nombreuses adaptations de la vengeance qu’ils ont observé dans les LL et les Obédiences où ils ont poursuivi leur « carrière » maçonnique. On en a cherché les raisons ; il est saillant de voir comment les textes d’origine ont été altérés en fonction de l’air des temps et des préférences locales des Grandes Loges, Grands Orients et Loges particulières[ii].

En notre époque les questionnements sont nombreux : Un rituel de justice, mais poignard en main pour toujours ? Il y a peut-être un temps pour toute chose, mais heureusement notre époque n’est pas ce temps-là. On observe que la vengeance cruelle (qui devrait peut-être susciter notre horreur de la violence ?) a été ajustée successivement en justice divine par « le maître des batailles », ensuite en suicide des mauvais compagnons épargnant le sang sur les mains des justiciers. Le sens a été finalement sublimé en lutte personnelle des maçons contre leurs propres mauvaises pulsions de violence. Nous avons longuement discuté les sens du mot Justice. La justice primitive « œil pour œil » des temps bibliques (elle-même un progrès de proportionnalité pour son temps historique) a été convertie en adoption de la justice autorisée des lois et des punitions institutionnalisées, règlementées et impersonnelles ; punir oui, sans pardon, mais en suivant les règles et procès des lois ? N’y a-t-il pas pourtant un temps pour toute chose sous le soleil ? D’autre part, est-ce assez maçonnique pour nous aujourd’hui ? Où sont la charité et la prise de responsabilité personnelle ? Ou sont en tout cela la fraternité, le pardon et la possibilité des nouveaux départs ? Plein de questions ! Faut-il pourtant y répondre en modifiant en conséquence les textes d’origine, ou plutôt par une interprétation qui les replace dans leur temps ? Faut-il plutôt lire les horreurs de nos légendes comme on devrait lire les livres sacrés des religions, non pas pour justifier les violences mais au contraire, pour apprendre des exemples du mal, afin de choisir le bien et devenir meilleurs ?

En marge des questionnements sur l’exégèse des textes, un état de fait s’impose, préoccupant.

Il est bien documenté qu’il y a eu de nombreuses altérations des rituels, des décors, des interprétations, pour des raisons plutôt profanes. L’historique est fascinant à suivre dans les livres publiés récemment. En fait, peu de choses ont été rajoutées dans les rituels et décors, plutôt nombre d’éléments ont successivement disparu. Chose incongrue, même les récits mythiques inclus dans les rituels ont été faussés ici et là, pour éviter telle référence biblique qui fâche ! Bien étayée, cette constatation ne conduit-elle pas vers une conclusion pratique ? Ou alors, sommes-nous restreints à nous lamenter devant cette porte déjà ouverte ? Après tout, même la Bible a été réécrite de plusieurs manières, pour ne pas parler des codes et lois de la Justice, qui ont changé avec les siècles et les cultures…

Des FF et SS se sont posé la question de quand ces altérations ont été faites, où, pourquoi et par qui. Dans ce contexte, quelle est l’implication du choix qu’au Rite Moderne (en fait celui initial) nous tenons à pratiquer nos rituels tels qu’ils ont été écrits à l’origine ? Se laisser taxer de réactionnaires parce qu’on pratique les rituels comme ils étaient, tout en respectant la liberté absolue d’interprétation personnelle ? Le Gr :.Or :., se demandait plutôt comment fonder le respect légitime pour les traditions, en même temps que les choix qui en diffèrent, afin de préserver, sans s’aplatir, la tolérance réciproque, l’harmonie et surtout la Fraternité.

Le S:.G:.C:. Fabrizio souligne la question clé – comment interpréter à présent ces mots et décors, mais aussi les changements commis concernant, par exemple des symboles, comme la très heureuse expression GADLU, la Bible ouverte à l’ Évangile de St Jean ? Comment faire face à ce qu’on peut appeler « l’allergie » de certains FF et SS, et surtout Ob :., à ces symboles conçus justement pour faciliter une cohabitation de la diversité spirituelle maçonnique?.

Faut-il adapter les mots aux temps et aux évolutions des sociétés, recycler nos décors, épurer les rituels et légendes de nos Grades de Sagesse ? ou plutôt conserver avec fidélité la tradition, au lieu de cautionner, au nom du « progrès », les opportunismes historiques du « politiquement correct » que nos érudits décrient régulièrement ?

On le voit bien, « le diable est dans les détails », dans le ressenti dogmatique des décors, mots et gestes. En ignorant que tout ceci est symbole : l’ABC maçonnique.

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En fait, on respecte un rituel parce qu'il dit vrai ou parce qu’il dit la tradition ? Les rituels sont-ils lettre d'Évangile... ou écrits de main faillible de Maçon ? Les interpréter dans leur lettre ou, avec bon sens, dans leur esprit ?

En essence ; en Maçons, sommes-nous capables de vivre dans notre temps, changer avec notre temps, penser et agir en notre temps, tout en sauvegardant la lettre et les symboles de nos traditions premières ? Que faire de plus pour réunir ce qui est épars ?

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Le défi à terme de notre Puissance Maçonnique est de démontrer le bien-fondé de la pratique des rituels du RMF en leur forme d’origine, tout en accueillant une diversité d’interprétations, le changement des époques, pays, régimes politiques et surtout la liberté absolue de conscience et de croyance ou non croyance religieuse des FF et SS. Une voie de raison serait de promouvoir et pratiquer une attitude lucide et civilisée de sublimation des concepts en cause, de déchiffrer le récit mythique incarné dans ces rituels. Cette érudition semble être une condition nécessaire de coexistence, qui permet de ne pas refaire éternellement des guerres de religions, d’hérésies et d’idéologies. Comme il semble, il faut s’élever au-dessus des interprétations littérales de ces mots et symboles mais aussi de la laïcité simplifiée, réductrice, intolérante, conçue comme antireligion.

Malheureusement, comme dit notre TS, cette manière de penser et de juger est née avec les monothéismes, devenus religions d’État et méthode exclusive. La certitude unique a détruit l’antique permissivité envers une multitude « de fait » des dieux et de croyances. Les empires d’avant toléraient l’imperfection des formes et des interprétations multiples. Par la suite et à présent, au lieu de considérer la diversité inévitable, où on œuvre pour réunir dans la bonne volonté des vues qui sont et qui ont le droit de rester éparses, on part typiquement d’un jugement préalable de Vérité et de valeurs, on impose les formes qui en résultent, on pense que certaines fondations, « les nôtres », sont les seules véridiques et les autres irrémédiablement fausses, à exclure. Que reste-t-il de notre noble rêve de Franc-maçonnerie universelle ?

Ce que nous chercherons dans notre réflexion présente est la forme fédératrice qui peut convenir à tous, avec des termes ouverts, qui permettent à chacun de comprendre, d’avoir et d’affirmer son interprétation personnelle tout en respectant un rituel symbolique partagé. Pour pouvoir assister, prendre part, dire let mots et vivre un égrégore sans se faire violence. Le terme Grand Architecte de L’Univers est un bon exemple de tentative optimiste pour permettre cette tolérance mutuelle.

Bien entendu, ceci requiert une pensée conceptuelle plus haute, qui reconnait et comprend les récits mythiques et bibliques dont les symboles sont incarnés dans nos rituels – ou tout est symbole – au lieu de croire qu’il s’agit de professions de foi figée. Autrement c’est comme si on contestait le nom des jours de la semaine ou des mois de l’année qui étaient jadis des noms de dieux de l’Olympe, les mots-on n’y croit pas.

Comment contribuer à cette œuvre ?

Selon le Gr :. Or :., un des nombreux choix possibles, est d’être conservateur concernant la lettre des textes et des récits légendaires, tout en étant flexibles et tolérants avec les changements incessants de définitions et des « certitudes », induits par les contextes et les époques qui passent. De même avec les préférences d’interprétation, faites en toute liberté de conscience (tant que ces choix ne sont pas imposés à autrui).

Pour préserver la paix, suivons la tradition avec bon sens, respectons et rappelons – en bons Maçons civilisés - les symboles bibliques les mythes et récits fondateurs, parfois anachroniques, sans mettre en cause nos convictions profondes en ce siècle XXI. Ces récits des ancêtres sont des formes qui restent  la colonne vertébrale de nos rituels, leur origine. Dans les cas où notre esprit moderne se rebiffe, faisons un peu comme ces Vice-rois du Nouveau Monde Espagnol qui disaient des décrets venus de loin du Roi d’Espagne, sans rapport avec leur réalité locale : « se obedece pero no se cumple » (on obéit mais on n’applique pas). Est-ce être trop opportuniste ?

Nous avons le droit de croire ou de ne pas croire, mais en nos vallées s’agit-il de croire ou de respecter ?

Notre TS propose d’effacer le mot croire de notre vocabulaire. Obligé à croire ou à dire qu’on croit ou non, rectifier et éplucher les mots, mène à une inquisition du politiquement correct, qui est une érosion de la liberté à laquelle nous sommes si attachés.

 


Jérusalem: le mur à l’occident, de pierres éparses


Poser cette question « CROIRE OU RESPECTER ?» protège notre liberté au milieu de la diversité parfois irréductible. Notre but partagé devrait être de comprendre le rituel dont nous sommes les acteurs, le sens de ce que nous y exprimons. L’émancipation est de « connaitre la cause des choses », comme dirait Virgile, comprendre d’où nous venons et où nous allons.

Car l’homme libre sait ce qu’il fait et fait ce qu’il sait.

 

Ioan Tenner, Ve Ordre Grade 9, Grand Orateur du Suprême Conseil du Rite Moderne pour la Suisse



[i]Jean van Win, Les initiales V.A.M. sur le cordon d’Élu au Premier Ordre du Rite Moderne Français, 2012

[ii] Meisner, Marc, Rite Français: Version Originale Ephaestos, Londres 2022 ISBN-13 ‏ : ‎ 979-8361403141, comparé à Grand Chapitre Général Du Grand Orient De France, Rituel de référence 1er Ordre éd. 2007

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